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par miracle, — ce qui fait honneur à sa cuisine. Du Coran et de ses versets, il ne connaît que quelques bribes qu’il a ânonnées à l’école, comme les autres enfants du village. Mais il possède la baraka ; le souffle divin est en lui. Armé d’un tambourin magique, il frappe dessus en cadence ; puis il fait tourner dans ses doigts une longue queue de rat, et alors se montre à ses yeux un génie familier qui supprime pour lui les distances, lui révèle les choses cachées, le fait assister en personne à des événements qui se passent très loin, et l’arme d’une puissance invincible pour satisfaire ses vengeances. Qui possède l’amitié de Sidi Mah voit toujours son adversaire abattu. Qui se met au rang de ses fidèles peut tout tenter, tout risquer : la fortune lui sourit toujours. A sa Zaouia aboutissent, comme amenés par le chat mystérieux, tous les différends des tribus soumises à son autorité— et au besoin il fait naitre les querelles pour avoir l’honneur et le profit de les apaiser ensuite. C’est vers lui que dans les heures d’inquiétude ou de révolte se tournent les espoirs de tous ceux qui viennent prier au tombeau de son ancêtre Dada Saïd. C’est lui que les femmes berbères invoquent dans leurs chansons, pour qu’il protège contre le Nazaréen [1] exécré la « horma, » c’est-à-dire l’honneur, la sainteté, l’intégrité et d’un mot qui résume tout, la virginité de la montagne.


Sidi Mah, je t’appelle à mon secours !
Où es-tu, ô marabout !
Où est la force des jeunes hommes, Sidi Mah ?
Par Dieu ! prends la tête des harka,
Que je descende en plaine !
S’il y a encore des guerriers, qu’ils accourent !
Les gens bien informés disent
Que l’Homme au képi perd l’assurance.
Le Sénégalais est parti.
Les convois ne lui arrivent plus.
Il n’a plus de canons ni de cartouches.
Tous ses bateaux sont au fond de la mer.
O jeunes gens, en avant !
Marchons sur le « bureau ».
Soyez calmes sous l’obus.
Nous emmènerons le cheval

  1. C’est ainsi qu’on appelle communément les chrétien au Maroc.