Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/605

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous enlèverons le poste.
Gens de la Zaouïa d’Ahansal,
Venez vaincre le Nazaréen.
Que je retrouve le sommeil !..


Or, ce Sidi Mali, que les femmes invoquent avec tant de confiance, est depuis plusieurs mois déjà en relations secrètes avec nous. Il nous fait tenir des lettres, par lesquelles il nous renseigne sur les dispositions des tribus, — le plus souvent, il est vrai, un peu tard, à la façon des chameliers qui vous crient « balek, » attention ! quand ils vous ont déjà bousculé. Aujourd’hui, il nous annonce que, s’il marche contre nous, c’est bien à son corps défendant et pour conserver son prestige. Mais à l’en croire, la vue de notre force va intimider ses guerriers, et il espère pouvoir venir bientôt lui-même nous présenter sa soumission.

Qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Allons-nous le voir apparaître avec une suite de cavaliers et une petite vache fourbue ? Quelle inspiration du ciel va recevoir ce sorcier diplomate, qui représente au fond de ces montagnes ce qu’il y a de plus vieux dans les pensées humaines : la ruse et l’esprit de magie ?... Cependant les jours s’écoulent : nous ne voyons toujours rien venir. Et c’est étrange de penser que, par un fil secret, la marche de cette longue colonne, qui se déroule à travers la solitude avec tous ses engins modernes, ses canons, ses mitrailleuses, sa télégraphie sans fil, est suspendue, en fin de compte, à une queue de rat et à un génie familier obéissant aux appels du tambourin merveilleux.


II. — DANS UN RAVIN BRULÉ

Depuis trois jours, notre camp est dressé au bord d’une étroite vallée, dans un chaos de collines, tantôt nues, tantôt boisées, qui s’emmêlent, bondissent, se dépassent, et s’élevant toujours plus haut s’en vont rejoindre les hautes cimes aux plis durs et cassants, tendues à l’horizon comme un rideau d’acier bleu. Au milieu de cette vallée, s’élève comme un gratte ciel une maison fortifiée, flanquée de tours aux quatre angles et percée d’innombrables meurtrières qui, du haut en bas de la bâtisse, menacent d’un coup de fusil tout ce qui pourrait s’en