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un troupeau de moutons qu’il mène paître au fond des vallées où se rassemble l’eau des pluies... »

Dans le camp, la chaleur est accablante, l’éclat du jour plus intolérable encore. Chacun reste sous sa tente ou sous le carré de toile qui l’abrite un peu du soleil, de la poussière et des mouches. Les bêtes, immobiles et la tête penchée, ont l’air de brouter leur ombre. Seuls, des Sénégalais, tout nus et magnifiques sous la lumière qui fait briller leur peau comme du bronze antique, s’amusent à se jeter des seaux d’eau sur le corps, animant tout ce coin du camp d’un jeu singulier de statues... Pas d’autre événement dans l’interminable journée que le va et vient des cigognes, la péripétie de l’avion qui arrive et descend par un miracle d’audace au fond de la gorge où nous campons ; et aussi, de fois à autre, le passage de quelques gens de tribus amenant avec eux leur vache protectrice, ils montent chez le Général, s’accroupissent à quelques pas de sa tente, et attendent là, immobiles, leur long fusil entre les jambes. Un interprète s’approche d’eux, leur demande d’où ils sont et ce qu’ils veulent. « Nous voulons ce que Dieu veut, disent-ils. » Mais Dieu, que peut-il bien vouloir ?... et les voici qui repartent, laissant leur pauvre bête efflanquée, seule expression de leur silence, seul témoignage de leur passage alarmé.


A quelque cinq cents mètres de là, au sommet d’une colline plantée de chênes verts, se dressent au milieu de la pierraille les tentes de Si Madani. L’existence qu’on mène là haut est mille fois plus monotone que celle que nous menons en bas, et pourtant, chose singulière, on n’y sent rien de l’ennui qui pèse sur le fond de la vallée. Ni l’impatience de l’inaction, ni le désir d’aller plus loin, ni celui de revenir sur ses pas vers des choses qui vous attendent, ni le malaise de la solitude, ni l’espoir d’on ne sait trop quoi, pas un seul de ces sentiments qui tourmentent chez nous les esprits, ne paraît avoir de prise sur les gens de la harka. Être ici ou ailleurs, qu’importe ? Le temps compte si peu ! Tous ces cavaliers ardents, ces piétons infatigables ont une si longue habitude de passer des heures et des heures accroupis ou étendus ! Ils sont tout à fait à l’image de leur climat excessif. Marchent-ils, ils ne s’arrêteront plus. S’arrêtent-ils, leur repos devient tout pareil à la mort. Si