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Quelquefois ce sont des dialogues, des couplets alternés que les femmes échangent entre elles en se rencontrant dans la forêt où elles vont chercher du bois. L’une dit :


O Aïcha, soumets toi à la Bête,
Avant que chez toi elle se rende,
Soumettez-vous à elle.
Moi je vais lui porter mes présents.
Quiconque est abattu par son ennemi,
A lui se soumet.
Moi, je me suis soumise.
De Dieu j’ai fait mon tuteur.


L’autre répond :


Qu’avons-nous besoin de ces hommes au képi
Qui sont venus, chez nous
Bannir les fêtes et les tambourins ?
Sénégalais, quand je t’aurai chassé,
Je reprendrai mes jeux.


Et l’autre de nouveau :


C’est vrai, ô Aïcha,
J’incline pour l’homme au képi.
Quand je m’éveille,
Ce sont ses tentes que ma bouche salue.
Mon hakem [1] est une gazelle.
C’est un pigeon en plein vol.
Jamais il ne m’a dit : « Des moutons ! »
Il m’a donné des fusils et des cartouches
Pour garder mon troupeau.
Il soutient les miséreux,
Merci à lui, ô Doho !


Et les plaintes succèdent aux plaintes, l’acceptation à la révolte ; et tout cela finit par donner un visage et une âme à toute cette poussière de tribus, qui n’apparaîtraient autrement que dans la confusion de leurs noms impossibles à retenir et de leurs querelles infinies dont la stérilité s’ajoute à l’aridité d’alentour.

  1. Le commandant du poste.