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LA MORT D’ABD EL MALEK

Et toujours aucun écho du tambourin merveilleux...

La colonne avait repris sa marche dans un pays de plus en plus difficile, poussant devant elle un ennemi qui se dérobait sans cesse, quand, sur les dix heures du matin, l’avant-garde de Si Madani, commandée par son fils Abd El Malek, fut brusquement attaquée par les gens de Sidi Mah.

C’est un spectacle toujours pareil et toujours assez passionnant, ces engagements de harka. On dirait un ballet guerrier, une figure de carrousel. Les deux partis sont face à face. L’un d’eux s’élance ventre à terre, derrière ses porte-étendards, décharge ses fusils, tourne bride, et toujours à fond de train s’enfuit, ses drapeaux déployés. Alors, l’autre parti de s’élancer à son tour, lui aussi bride abattue, derrière ses étendards. Il tire, fait une volte rapide, puis revient à toute allure sur ses pas, poursuivi par son adversaire qui a rechargé ses armes, galope, lâche son coup de feu et se dérobe à nouveau. Et cela indéfiniment, comme dans une fantasia, où le risque de la mort ne fait qu’ajouter au plaisir.

C’était la première fois que le jeune Abd El Malek s’en allait ainsi au combat. Je le voyais de loin, vif, rapide, la carabine au poing, monté sur un beau cheval noir, toujours en tête de ses drapeaux, lorsqu’il partait à la poursuite, toujours le dernier à revenir. Dans ce fougueux cavalier blanc qui courait à tombeau ouvert, en abandonnant ses rênes pour épauler sa carabine, qui aurait pu reconnaître l’adolescent efféminé et quasi endormi, que je regardais hier encore vaquer dans le camp de son père, tenant un de ses familiers par la main ?..

Il y eut ainsi plusieurs figures de ballet. Puis nos canons commencèrent de tirer sur le petit bois de chênes verts où se rassemblaient, après la charge, les partisans de Sidi Mah. Le jeu de la poudre s’arrêta presque. On n’entendit plus çà et là que des coups de fusil espacés. Bientôt notre colonne, qui continuait paisiblement d’avancer, atteignit le plateau où nous devions nous arrêter ce jour-là. Ace moment, arriva la nouvelle qu’Abd El Malek était blessé.

Mon cheval était encore sellé. Je me dirigeai aussitôt vers le camp du Madani. Il fallait pour le rejoindre commencer par