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— Croyez-vous qu’il arrive à temps et qu’on pourra l’opérer ? demandai-je au médecin qui l’accompagnait du regard.

— Certainement non, me dit-il. Il va demander à boire en route. Malgré les ordres que j’ai donnés, personne des gens de son escorte n’osera lui refuser de l’eau, cette chose qu’on ne refuse à personne. Et il mourra presque aussitôt.


Donna-t-on à boire au blessé ?... A cinq heures, la télégraphie sans fil annonçait au général de Lamothe qu’avant d’arriver à Tanant, Abd El Malek était mort. Aussitôt le Général envoyait auprès du Glaoui un officier musulman d’Algérie pour lui apporter la nouvelle. Depuis longtemps Si Madani connaissait cet officier pour lequel il avait de l’affection. Cependant pas une seconde il ne se départit en sa présence de la fière résignation islamique. Mais quand l’Algérien l’eut quitté, il fit appeler le lieutenant français qui commandait aux Askris — celui précisément avec qui j’avais fait le trajet de Marrakech à Tanant. Sa douleur était trop forte : il ne pouvait plus la contenir, il fallait qu’il en fît part à quelqu’un... à quelqu’un qui ne fût ni de sa race ni de sa religion, et pour qui une confidence, une plainte, une larme ne fut pas une humiliation... Parmi ses cent trente enfants, Abd El Malek était son enfant préféré, le seul qui fût intelligent, celui qui dans sa pensée devait devenir après sa mort l’héritier de tous ses biens, le chef de la maison des Glaoua. Et si l’on était descendu plus avant encore dans cette âme très secrète, on y aurait aussi découvert ces profondes haines de famille qui sont au fond de tous les cœurs berbères, et le désespoir d’abandonner tout son grand héritage à son frère Hadj Thami, dont il avait fait la fortune mais qu’au fond il jalousait comme un cadet trop puissant.

Tout cela, le Madani le laissa voir ou soupçonner à l’officier nazaréen qu’il avait mandé sous sa tente. Devant ce chrétien il pleura. Il changea même de vêtements sous ses yeux, — ce dont il s’excusa disant : « Pardonne-moi de me dévêtir ainsi. Mais tout m’est égal maintenant... »


Quelques instants plus tard, on amenait en sa présence deux individus suspects, qu’on avait surpris rôdant près de la tente du Général, — sans doute des gens de Sidi Mah, venus