Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 53.djvu/621

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour espionner ou faire quelque mauvais coup. Ils expliquèrent avec volubilité qu’ils ne s’étaient glissés dans le camp que pour y ramasser de vieilles boites de conserves ; qu’ils appartenaient d’ailleurs à une des tribus du Glaoui, et qu’ils ne demandaient qu’à combattre avec sa harka.

Absorbé dans ses pensées, Si Madani paraissait ne pas coûter leurs paroles. Puis soudain, levant sur eux son regard, et semblant les apercevoir pour la première fois, on vit s’allumer dans ses yeux une lueur brève et violente ; il bredouilla quelques paroles tout à fait inintelligibles, fit un geste, et aussitôt les esclaves, saisissant les deux suspects, les entraînèrent hors de sa vue.

Ce fut rapide et atroce, une de ces scènes d’horreur tragique sur lesquelles pâlissent à l’École des Beaux-Arts les candidats au Prix de Rome : la mort de Mazeppa ou l’écorchement de Marsyas. A peine les deux prisonniers étaient-ils sortis de la tente que les bâtons et les pierres s’abattirent sur eux de tous côtés. Le camp de la harka, tout à l’heure assoupi dans un profond silence, s’anima de cris sauvages. La chemise arrachée, roués de coups, lapidés, sanglants, effroyables à voir, les deux rôdeurs furent traînés par les pieds à travers la broussaille et les rochers jusque dans le fond du ravin. Sans doute étaient-ils déjà morts quand ils arrivèrent en bas. Mais pendant longtemps encore, les coups de feu, les pierres et les injures s’acharnèrent sur leurs cadavres. Puis les gens remontèrent sur le plateau, et de nouveau le grand silence se rétablit parmi les tentes, seulement troublé de moment en moment par les appels des veilleurs, car sur ces entrefaites la nuit était venue, et l’on voyait briller les grands feux de genévriers allumés par les gens placés en sentinelle, et, plus loin, très loin, au delà des ravins inaccessibles, les feux des gens de Sidi Mah, qui, sans doute avertis déjà de la mort d’Abd El Malek par la queue de rat du Marabout et son génie familier, célébraient le succès de la journée autour de ces flammes perdues, en frappant du tambourin...


Le lendemain, le général de Lamothe, accompagné de quelques officiers, se rendit au camp du Glaoui. Si Madani l’attendait, debout devant sa tente, dans ses longs vêtements d’une impeccable blancheur. Son visage ordinairement terreux