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son cadet en théologie, il ne le retrouvait pas loin de lui, chez son père « Monsieur Le Tellier, » qui demeurait rue Plâtrière. C’est là que le futur chancelier, alors ministre de la Guerre, soigneux de perpétuer sa dynastie, forme en hâte à lui succéder le frère de Charles-Maurice, le marquis de Louvois.

Pour un simple curieux, de ce « milieu » que de suggestions pouvaient sourdre ! Mais pour le moraliste attentif, avide de s’instruire sur les âmes, que les Sermons de cette époque attestent en Bossuet, n’y avait-il pas une leçon qui se dégageait, toute seule, des gens coudoyés chaque jour ? Parmi ces grands personnages qu’il fréquente ou seulement qu’il rencontre, que de mauvais « sujets » ou médiocres citoyens de la veille ! Que d’opposants, et anciens, et fieffés ! Or, nul d’entre eux, presque, ne s’obstine, et tous ils se rallient. Claire perception de leur intérêt, sans doute, car ils voient bien que la royauté est tout de même la plus forte, et qu’il faut accepter le régime, et s’y ménager au plus tôt une place. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est que tous ces frondeurs féodaux ou parlementaires, ou, simplement, aventuriers, « évoluent » avec aisance, aidés par cette admirable et si française faculté d’oubli où la dignité individuelle ne trouve pas toujours son compte, mais dont la paix publique a bénéficié tant de fois ; aidés aussi par l’indulgence du pouvoir, qui jamais ne fut plus magnifiquement souriante que dans ces années 1659 à 1661. Mazarin, — on voudrait bien savoir, si Bossuet le connut, — passe les deux dernières années de sa vie à embrasser les gens qui, la veille, l’avaient voulu pendre. Anne d’Autriche ne parait plus penser aux grabats de Saint-Germain, à ses fuites et humiliations, ni à celles de son ministre favori. Et son fils l’imite en perfection, et la dépasse. Il est merveilleux de dissimulation auguste. Lorsque Condé revient d’Espagne, « il se retrouva à la cour, — écrit Mlle de Montpensier stupéfaite, — comme s’il n’en eût jamais bougé. » « Le Roi, familier avec lui, l’entretenait de toutes les choses anciennes qu’il avait faites tant en France qu’en Flandre, avec autant d’agrément que si elles s’étaient toutes passées à son service. » Le fait qui saute aux yeux alors, c’est cette bonne volonté générale de paix, commune à tous, unanime, s’ouvrant inépuisablement à de réciproques amnisties.

Et de ce sentiment les effets qu’on pouvait voir, tout de suite, surtout dans ce centre de Paris où Bossuet va vivre,