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c’étaient d’abord les effets matériels ou mondains. Là-bas, aux quartiers lointains, aux faubourgs, depuis la foire Saint-Germain jusqu’au faubourg Saint-Antoine, depuis le Pont-Neuf jusqu’aux moulins de Vaugirard, se lâche la détente populaire. Là règnent impunément les grossièretés des laquais et des artisans, leurs gaietés brutales : rappelez-vous Callot et ses estampes. Au centre, c’est le plaisir élégant, mais qui, lui aussi alors, a quelque chose de déchaîné. A la vie abondante et luxueuse qui depuis cent ans était si fort gênée, et que la Fronde avait ajournée à nouveau, on avait hâte de revenir ; on s’y hâte même un peu trop. Pour recommencer « la fête » interrompue, on n’attend ni que la paix intérieure soit tout à fait établie, ni que celle avec l’ennemi étranger soit signée. « On en goûte déjà par avance les douceurs. » Tandis que Mazarin est encore à discuter avec l’Espagne à l’ile des Faisans, et tandis que le duc de Mercœur n’a pas encore fini d’étouffer la révolte de Marseille, les bals, les mascarades, les « ballets, » les « musiques » recommencent. Diamants et dentelles s’étalent à nouveau. Fouquet et Lyonne font assaut de « magnificence » à leurs maisons des champs en des « réjouissances féeriques » dont le gouvernement donne l’exemple à Paris, comme à Saint-Germain et à Vincennes. La Reine-mère, Mazarin et le jeune Roi encouragent cette ruée au plaisir, qui rentre dans les vues de leur politique et qui les rassure. De ce Louvre si rude encore et médiéval d’aspect, Anne d’Autriche, en dépit de sa dévotion, fait, à l’intérieur, une « merveille éblouissante » d’or et de marbre, de bois parfumés, d’émaux et de tapisseries, de peintures galantes ou nobles. Pietro Sasso, Francesco Romanelli collaborent avec les grands peintres français à décorer, dans cet esprit de faste, le Salon de la Paix et la Galerie d’Apollon. Anne Martinozzi, Olympe et Marie Mancini l’aident à y organiser « des fêtes superbes et voluptueuses, » où d’ailleurs la « canaille « elle-même est admise, pour y contempler les « délices » du « palais enchanté » et voir de ses yeux les splendeurs que la paix et la restauration de l’ordre ramènent...

Cependant il n’est point endormeur, ce courant vers la concorde dont la jouissance profite. C’est alors un des moments de notre histoire où se constate ce don de la race : le mélange, fécond en surprises, de frivolité et de sérieux. Et ceci est le second trait de ce Paris de 1658-1662 : le labeur.