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française une cause de trouble. Ce trouble, on l’a exagéré, sans doute, et dans le moment même, et depuis. Amis et ennemis ont eu intérêt à représenter le Jansénisme comme la grande et principale affaire du XVIIe siècle. Non. Il y a eu, jusque vers 1713, maints honnêtes gens de France qui vécurent, firent leur fonction ou leur métier sans prendre part à ces contestations théologiques, sans même les connaître. Même des personnages notables n’en voulurent jamais rien savoir. Toutefois, — et sans aller jusqu’à ces grossissements tragiques, — je prie qu’on « réalise » ce qu’était jadis une société effectivement chrétienne. Dans toutes les villes et dans tous les villages, les affaires de la paroisse sont affaires publiques ; dès lors une lutte dogmatique, qui partage l’Eglise officielle, finit par devenir, insensiblement, affaire d’Etat. Rappelons-nous aussi ce que devait être par nature un gouvernement absolu et ses précautions obligées : conscient que rien ne doit ébranler son assiette, et que tout ce qui bouge ébranle, il ne néglige aucune manifestation de pensées et de sentiments, même individuels, à plus forte raison collectifs, fût-ce en des matières futiles. A plus forte raison, en matière spirituelle, où l’ « hérésie, » depuis François Ier, est le cauchemar des gouvernants ; à plus forte raison dans l’Eglise, peuple vaste, société puissante. Là, quand une agitation se prolonge, la durée même en est un danger.

Dix ans auparavant, Mazarin lui-même, un des hommes d’Etat pourtant dont le réalisme se faisait volontiers méprisant pour les choses mystiques, n’avait pas pu méconnaître dans la doctrine dite janséniste un de ces dangers, et un danger déjà fâcheusement enraciné. — Aussi bien voyait-il le cardinal de Retz, son implacable adversaire, essayer de se faire une arme de cette insurrection spirituelle, s’annexer Port-Royal. A peine donc la Fronde apaisée, le Cardinal s’occupa du Jansénisme. Contre lui, il prit un de ces moyens astucieux qu’il aimait. En juillet 1653, après que la Bulle du Pape Innocent X eut condamné les fameuses Cinq propositions, le Cardinal brusque les choses. Par un procédé expéditif, et tout juste légal, il assemblait chez lui une trentaine de prélats, et exigeait d’eux non seulement de « recevoir » la Bulle, non seulement d’écrire, au nom du clergé de France, une lettre au Pape, mais d’envoyer à tous les évêques leurs collègues une circulaire les engageant