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trompe pas : au cœur de tout bon Anglais, il y aura toujours, plus ou moins inavoué, le regret de l’insularité perdue, cette insularité qui est la meilleure garantie du maintien du tempérament national, si puissamment original, du peuple britannique.

Ce sentiment profond, — rarement exprimé devant des étrangers, devant des Français en particulier, — l’emportera-t-il encore, dans la période qui s’ouvre, sur de si évidents avantages, avantages qu’il est superflu d’exposer aux lecteurs de la Revue ? Les enseignements de cette guerre, auxquels je viens de faire allusion, suffiront-ils à vaincre des répugnances instinctives plus que raisonnées, mais qui n’en sont que plus fortes et qui demeurent, semble-t-il, puissantes ? N’allons-nous pas nous trouver en face de cet argument, tiré justement du succès final du terrible conflit : « Après tout, nous avons eu la victoire tout de même. Laissons donc les choses en l’état... »

A nous, à nos gouvernants, à toute notre élite de lutter par conséquent en faveur de la réalisation d’une entreprise à laquelle notre salut serait peut-être attaché en cas de nouvelle attaque de l’Allemagne, dans quelques années [1].

Notre salut, dis-je, et je ne crois pas exagérer. Ce n’est pas que je n’aie la conviction que, cette fois encore, les puissances d’Occident finiraient par refouler l’envahisseur. Mais dans quel état serions-nous, à peine relevés de nos ruines .et toujours chargés d’un écrasant fardeau financier, si nous devions subir, les Belges et nous, un second et plus furieux assaut avant que l’action de nos alliés d’outre-mer eût pu se faire sentir ? Au sein même d’une nouvelle victoire, la puissance française, — sinon la France elle-même, en tant que nation, — ne s’effondrerait-elle pas ? Il est des successions de désastres économiques dont un peuple ne saurait se relever, comme il est des successions de maladies qui finissent par venir à bout du plus vigoureux organisme humain.

Mais de l’Angleterre elle-même, dans l’hypothèse où je me place, le salut ne serait-il pas compromis si, par suite de sa

  1. Je m’excuse une fois pour toutes ici de mon apparent scepticisme à l’endroit du maintien de la paix actuelle, et je répète qu’il ne s’agit ici que de prévisions purement théoriques. J’observe pourtant que si le gouvernement français s’est attaché à se procurer l’avantage des deux accords militaires, c’est qu’il avait de fortes raisons pour cela.