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affichant à côté de lui une magnifique amazone, dont le début fait sensation dans le Tout-Paris qui monte à dix heures du matin. Pendant cinq ou six ans, il la perfectionne encore, choyée comme le plus précieux des bibelots de son musée, et puis il meurt entre ses bras, lui léguant ses millions, son luxe, ses chevaux, ses villas de Marseille, ses trésors, ses chefs-d’œuvre de la Fille au chapeau et de l’Impératrice byzantine, avec son expérience hautaine et désabusée de la vie.

Et puis, c’est le chapitre de Venise et le bref roman interrompu avec le Prétendant, qui achève de la consacrer aux yeux de toute la terre, dans les salons « bien pensants ; » nous la retrouvons encore un jour aux avant-postes, au milieu de la fusillade et des shrapnels des Alphonsistes, dans les gorges du Guipuzcoa, intrépide, rêvant à ses souvenirs d’enfance. Maintenant, elle vit à Marseille, devenue l’âme de l’intrigue carliste, faisant la pluie et le beau temps, courtisée, jetant par la fenêtre les millions d’Allègre, toute-puissante dans un monde qui ne s’inquiète guère de savoir d’où vient l’argent. Voilà ce que nous apprend, à bâtons rompus, entre deux et trois heures du matin, l’irréprochable capitaine Blunt, « Américain, catholique et gentilhomme, » qui « vit de son épée, » et nous entendons bien qu’avec toutes ces belles qualités et celles de sa digne mère, qui vit « de son esprit, » il ferait assez son affaire de la femme et de la fortune ; ce qui ne l’empêche pas d’introduire le lendemain son jeune interlocuteur chez la belle, comme une bonne recrue pour la « Cause, » et ne se doutant guère d’y introduire son rival.

On devine en effet que notre jeune Ulysse, devenu « Monsieur George, » le fameux contrebandier de guerre, n’a pas plus tôt aperçu l’admirable jeune femme, qu’il s’éprend à son tour d’une passion profonde. C’est pour elle qu’il risque tous les mois d’aller se faire casser la tête, en débarquant des armes sur des points dangereux de la côte, aux bandes carlistes de l’Andalousie. Et de son côté, nous voyons bien, sans qu’il soit presque jamais question d’amour, qu’un intérêt croissant, fait de pitié et de sympathie pour le jeune aventurier, ne tarde pas à naître dans l’âme de l’héroïne. Nous sentons qu’au milieu des hommages et des convoitises qui l’environnent, elle lui sait gré de la passion naïve et du nulle enthousiaste et pur de ses vingt ans. L’élève blasée d’Henry Allègre a trop vite reconnu