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serre-files ? Non, ils s’en viennent nonchalamment et au hasard, par groupes hétéroclites et inattendus, selon un ordre obscur voulu par la nature, quelques-uns plus brillants, plus persistants, plus riches de lointains et de rêves, et c’est un peu de toutes les époques, de tous les pays et de tous les sentiments que se compose, à notre insu, le Musée de notre subconscience. Son charme est dans ses disparates, sa vie dans sa spontanéité. C’est le Salon Carré de nos souvenirs...


II

Mais que viennent faire, ici, ces rêvasseries d’oisif ou de dilettante ? — diront les novateurs, gens rationnels, nourris des « bonnes méthodes, » — les musées ne sont pas faits pour le passant ignorant de nos travaux d’exégèse et insoucieux de les connaître, pour les naïfs enthousiastes comme Jules Breton. Ils sont faits pour les érudits, qui écrivent sur eux de savants mémoires ou pour les collectionneurs qui leur font des dons. On peut encore admettre qu’ils servent aux études des jeunes artistes. Le reste des visiteurs ne compte pas. Il faut donc, avant toute chose, que le Louvre soit un établissement d’éducation. Pour cela, il doit être aménagé, selon une méthode scientifique, de la façon la plus favorable à l’enseignement. Les jours de la fantaisie et de l’arbitraire dans l’Histoire de l’Art sont passés. Le jour de la Science est venu...

Voyons ce que vaut cette thèse. La « Science » est un beau mot, mais il n’y en a pas dont on fasse un usage aussi abusif. Être « savant » en quelque chose, c’est savoir faire cette chose, ou savoir comment elle se fait. C’est, dans le domaine physique, chimique, mécanique, savoir réaliser le phénomène, ou savoir comment il se réalise et, dans les sciences de pure observation, comme l’histoire naturelle ou l’astronomie, le prévoir. Pour cela, en avoir découvert les lois générales. Mais on n’a jamais appelé « savoir » une chose, savoir la naissance, la vie, la carrière, les gains et la mort des gens qui l’ont sue. Or, c’est à quoi se réduit la « science » de l’art chez les historiens d’art, critiques, chartistes et conservateurs de musées, Ils ne savent point faire un chef-d’œuvre : ils ne savent même pas comment il se fait ; ils n’en connaissent ni la réussite, ni même les difficultés. Ils en sont donc, dans ce domaine, exactement