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au même point que le passant qui entre dans un musée et s’intéresse aux images qu’il voit. Les uns et les autres peuvent avoir du goût ; mais la science ou l’ignorance technique est égale chez tous.

Il ne faut donc point parler de « méthode scientifique, » ni « d’enseignement de l’art, » ni même d’ « éducation de l’œil, » lorsqu’on parle d’Histoire de l’Art. L’Histoire de l’Art, qui s’occupe des conditions de la vie matérielle d’un artiste, de son apprentissage, de ses voyages, de ses échecs ou de ses succès, est une chose. La « Science » de l’Art en est une autre qu’acquièrent les artistes sans savoir un mot de l’histoire de l’Art, ni avoir lu deux lignes de ses historiens. Si c’est l’enseignement technique de l’Art qu’on poursuit, les musées peuvent en effet y servir, mais consultons l’exemple des maîtres eux-mêmes, et nous trouverons que cet enseignement se fait en dehors de toutes les notions qu’on peut acquérir par l’histoire et par la chronologie.

En effet, pour bien sentir en quoi consiste le procédé technique d’un maitre et où git son caractère distinctif, ce n’est pas à côté de ses semblables qu’il faut l’étudier, mais à côté de ses contraires. Le trait spécifique d’une peinture apparaît surtout par le contraste. Rien ne peut mieux faire comprendre ce que Fromentin appelle « la peinture concave » des Hollandais que la juxtaposition d’un Rembrandt, par exemple, avec un David, dont presque toutes les peintures sont « convexes. « Il peut arriver que cette contre-épreuve se rencontre dans le même pays et dans un temps pas trop éloigné : c’est ainsi qu’on sentira de quoi est faite la couleur de David et sa facture, « du noir et du blanc pour faire du bleu, du noir et du jaune pour faire du vert, de l’ocre rouge et du noir pour faire du violet, » et son faire lisse partout égal, partout glacé, en le voyant auprès d’un Fragonard, qui en est l’antithèse exacte. Mais la plupart du temps, c’est dans une autre école qu’il faut le chercher, ou dans un temps fort éloigné. Au Louvre, quiconque veut comparer le modelé d’une figure peinte avec glacis par-dessus, mais sans clair-obscur avec un modelé très poussé presque uniquement par le clair-obscur, doit rapprocher la Laura Dianti de Titien de la Stoffels de Rembrandt. S’il désire apprendre en quoi consiste la facture d’un Rubens, qui empâte ses lumières et exprime les