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ombres par des frottis, c’est en mettant son Saint-Jean à côté du Condottiere d’Antonello de Messine qu’il y arrivera le mieux, ce dernier étant fait d’une pâte égale d’un bouta l’autre. Et c’est si vrai, que tous les auteurs depuis les plus anciens jusqu’à M. Dinet, par exemple, ou M. Moreau Vauthier, qui ont serré de près ces problèmes techniques des peintres, y ont été naturellement conduits.

Veut-on, au contraire, poursuivre et renforcer, par une accumulation d’exemples pris chez les maîtres, la démonstration d’un phénomène constant, celui-ci par exemple : lorsque les couleurs d’un tableau sont si pauvres qu’elles se réduisent presque à un monochrome, les valeurs se confondent avec les couleurs et, si elles sont très justes et très nuancées, elles les remplacent. Comment fera-t-on le mieux toucher du doigt, ou plutôt de l’œil, ce phénomène ? En rapprochant plusieurs peintures célèbres qui l’illustrent, soit parce qu’elles ont été peintes et voulues ainsi, soit parce que les couleurs en ont passé par accident : le Carondelet de Mabuse, la Joconde de Léonard, la Mme Jarre de Prud’hon, les Têtes d’expression de Carrière, c’est-à-dire qu’on rapprochera des œuvres d’écoles ou d’époques très différentes, pour corroborer la même loi.

C’est, d’ailleurs, ainsi qu’ont procédé les maîtres, eux-mêmes, dans leur enseignement. Quand Rodin, dans ses entretiens, voulait faire saisir comment les grands artistes du passé arrivaient, par des formes nécessairement immobiles, à exprimer le mouvement, il allait prendre, au Louvre, trois exemples, mais il ne les prenait pas dans la même école, ni au même moment : il rapprochait la Course d’Epsom, de Géricault, d’une peinture italienne du XVe siècle et de l’Embarquement pour Cythère. Quand M. Bonnat veut définir la qualité exacte du réalisme de son Dieu, Vélasquez, il l’oppose à la « magie » d’un Rembrandt et à la prestesse d’un Van Dyck. Quand Ingres veut enseigner à ses élèves la différence qu’il voit entre « le sublime dans les formes » et le « sublime dans le coloris, » il cite, côte à côte, Raphaël et Titien, comme on les mettait, côte à côte, dans le Salon Carré. Quand Delacroix nous dit : « Rubens met franchement la demi-teinte grise du bord de l’ombre entre son ton local de chair et son frottis transparent ; ce ton, chez lui, règne tout du long. Paul Véronèse met à plat la demi-teinte de clair et celle de l’ombre... Il se