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contente de lier, l’un à l’autre, par un ton plus gris mis par places et à sec par-dessus. De même, il met, en frôlant, le Ion vigoureux et transparent qui borde l’ombre du côté du ton gris, » — croit-on qu’il soit bien facile de suivre cette leçon, s’il faut courir à travers plusieurs salles, méthodiquement rangées par nations et écoles, avant de comparer un Rubens à un Véronèse ? Quand Fromentin veut bien faire entendre ce qu’est la « valeur » par rapport au « coloris » et que, bien colorer c’est surtout savoir habilement rapprocher les valeurs des tons, il va chercher ses exemples chez les chefs des écoles les plus opposées, et c’est Véronèse, Titien, Rubens et Rembrandt, qui, dans son texte, comme dans le Salon Carré, sont juxtaposés, puis il cite tout de suite après, pour continuer sa démonstration. Peter de Hooch, Terburg et Metzu, Decamps et Corot. Que vient-on nous parler, après cela, de classement scientifique, ou didactique ? Le voilà, le classement didactique, celui qui permet le mieux de saisir chaque peinture dans ses éléments subtils et précis au lieu de s’en tenir au vague charabia des historiens. Et ce classement didactique, c’est, à peu de chose près, le Salon Carré.

C’est qu’en réalité, quand ils parlent de méthode scientifique et d’éducation, ce n’est pas de l’essence même de l’Art que veulent parler les critiques : c’est de l’histoire de l’Art. Or, celle-ci se fait aussi bien et mieux par le contraste que par l’analogie. Quand Taine, en sa Philosophie de l’Art, veut montrer au vif comment deux génies de la peinture peuvent concevoir le Repas du Christ, de telles sortes tellement différentes qu’un monde tienne entre les deux, il cite le Repas d’Emmaüs à côté des Noces de Cana comme ils étaient jadis au Salon Carré et c’est de ce contraste que sort toute sa thèse.

Ainsi donc, aligner en procession et bout à bout, les œuvres d’une école par ordre chronologique, ce n’est pas du tout faire l’histoire de l’Art, car ce n’est pas montrer comment l’Art d’une époque, dans son ensemble, s’est développé, ni pourquoi et à la suite de quelles influences, l’Art d’un pays a évolué. Prétendre que le maître explique l’élève, et que celui-ci naît de celui-là, est une gageure insoutenable. David est l’élève de Boucher, Géricault, de Guérin, J.-F. Millet, de Paul Delaroche. Peut-on prétendre, sérieusement, que Boucher explique David, Guérin Géricault, ou Delaroche Millet ? Reynolds et Gainsborough