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s’expliquent-ils par Hogarth ou par Bulls ? Ils s’expliquent par Van Dyck et Rubens. De qui est donc fils Rembrandt ? « C’est le moins hollandais des peintres hollandais, » dit Fromentin, — peut-être parce que c’est le plus grand. On mettra Fragonard à côté de Chardin, parce qu’il fut son élève, mais Chardin annonce-t-il Fragonard ? et l’on mettra Chardin à côté de Coypel et de Vanloo, mais ni Coypel, ni Vanloo n’expliquent Chardin, qui vient des Hollandais en ligne droite. Que peut-on bien trouver dans Watteau, dessin, sentiment, couleur, ou facture, qui soit annonce par Poussin, Rigaud, Mignard, ou Le Sueur ? La vérité est que les médiocres seuls s’expliquent par leurs maîtres. C’est ailleurs qu’il faut chercher le secret du génie. Les chefs-d’œuvre de chaque école s’apparentent entre eux, si différents soient-ils, plus qu’ils ne s’apparentent aux écoles dont ils sont sortis. « Sortis ! » le mot le dit lui-même. Le chef-d’œuvre n’est plus « contenu » dans une école : il la déborde entièrement. Il échappe donc à la classification commune. Il en est « sorti : » ne l’y faites donc pas rentrer !

Enfin si l’on voulait, par le rapprochement des œuvres, rendre plus sensibles les analogies et enseigner les filiations, ce n’est plus par nations, ni par écoles, qu’il faudrait classer, mais selon dus diagrammes d’une complication inouïe. Si l’on veut rechercher les ancêtres de Théodore Rousseau, Daubigny, Dupré, Diaz, ce n’est nullement leurs prédécesseurs dans le paysage français qu’il faut mettre à côté d’eux, mais bien le Moulin à eau d’Hobbéma, le Buisson de Ruysdael et les œuvres contemporaines des Anglais. De même auprès de Troyon, c’est la Prairie de Paul Potier et auprès de Jacque, le Pâturage de Karel du Jardin, qu’il faudrait voir, comme auprès de Meissonier et de Stevens, la Robe Blanche de Terburg, les Metzu et les Vermeer. Nos impressionnistes français, ceux du moins qu’on appelle les « luministes, » ou les « chromistes, » ne sont nullement fils de Courbet, ni même de Manet : ils procèdent de Turner et des préraphaélites anglais, comme M. Paul Signac et M. Wynford Dewhurst l’ont fort bien démontré. Entre eux et leurs prédécesseurs français, il y a une cassure nette, une crevasse que le voyage à Londres explique, mais qu’aucune œuvre de l’école française ne parvient à combler. Pareillement, Géricault et Delacroix procèdent parfois des Anglais. « Constable, homme admirable, est une des gloires de l’école anglaise, écrit