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métier ? Ou dans celui où il a point ? Ce peut fort bien n’être pas les mèmes et il arrive qu’entre eux il y ait toute l’étendue de la grande mer océane... Cela ne nous apparait point, à première vue, parce qu’en France et à notre époque, la question ne se pose guère. Il est généralement admis que tout grand peintre est né à Toulouse, qu’il a appris son métier à Paris, qu’à Paris il a souffert, il a confessé sa foi, il a triomphé et il est mort, — ses petites pairies successives se réduisant aux différents quartiers qu’il a pu habiter, dans son ascension, de la rue Notre Dame-des-Champs à l’avenue de Villiers. Mais en Italie, au XVe et au XVIe siècle, il n’en va pas de même. Léonard est florentin, mais est-il de l’école florentine ? Le Sodoma, qui naquit et apprit son art en Piémont, est-il siennois ? Pourquoi Raphaël, qui est né à Urbino et qui s’est formé loin de Rome, est-il romain ? Memling né en Allemagne selon les uns, en Pays-Bas selon les autres, et qui apprit son art peut-être bien à Mayence et à Cologne, doit-il être considéré comme de Bruges ?

Si c’est non plus la naissance, ni l’école qui classent un peintre, mais le lieu où il a surtout travaillé, où mettre le Poussin et Claude Lorrain ? A tout moment, les conservateurs de musées tranchent des problèmes de ce genre et leur donnent des solutions contradictoires. Même chez nos contemporains, la question se pose. Whistler était assurément citoyen américain, ayant passé par l’école de West-Point, mais West Point n’est pas, que je sache, une école de peinture. C’est à Paris qu’il a étudié et moins chez les maîtres français que chez Velasquez et Rembrandt, — et c’est en Angleterre qu’il a peint ! Dans quelle école le placer ? Il eût, sans doute, poussé des cris d’orfraie, si l’on eût parlé de le mettre dans l’école anglaise. Mais si on ne l’y met pas, de quel droit met-on le Sodoma dans la siennoise, Memling dans la flamande, ou Calcar dans la vénitienne ? A quel titre, surtout, si Whistler est classé dans l’école américaine, parce qu’il est né de l’autre côté de l’eau, Sargent, qui est né de ce côté-ci, à Florence, en est-il aussi ?

Et je ne parle pas des Primitifs, les Rogier van der Weyden ou Roger de la Pasture, et une foule d’autres amphibies, tantôt flamands, tantôt français, qui changent de patrie, d’année en année, selon la fantaisie de nos exégètes ! Si l’on se résigne à les déménager d’une salle à l’autre, selon tous les flux et les reflux de l’opinion archéologique, le Louvre