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les armées Alliées vinssent attaquer l’ennemi en terrain découvert, et ce ne serait pas l’œuvre du surlendemain, mais du lendemain même.

La forteresse, de toutes parts ébréchée, n’était pas, nous venons de le voir, tombée sans d’âpres combats. Rarement résistance plus violente avait été opposée à un assaut, et résistance plus difficile à vaincre du fait même des redoutables positions décuplant la valeur de l’assailli, exigeant de celle de l’assaillant de véritables miracles.

Celui-ci avait cependant emporté, le fossé infranchissable franchi, les bastions « imprenables, » raflant plus de 40 000 prisonniers, plus de 500 canons. De ce fait même, le gain matériel était énorme, mais plus considérable encore le bénéfice moral. L’orgueil des vainqueurs en était légitimement surexcité, et, partant, fortifiée la confiance, — désormais inaltérable, — qu’ils éprouvaient en leur irrésistible puissance. Soldats britanniques, canadiens, australiens, néo-zélandais, américains, français, tous avaient, dans des combats qui compteront parmi les plus durs de la campagne, fait preuve d’une vaillance vraiment incomparable. Les États-majors, qui les avaient dirigés vers les points utiles, menés d’une main si ferme aux combats, ne se sentaient pas moins qu’eux au paroxysme de l’assurance. Puisqu’on avait emporté la ligne Hindenburg, quelles positions désormais les arrêteraient et puisque, appuyés sur une si formidable forteresse, les soldats allemands avaient, malgré leur opiniâtre courage, fléchi et cédé, comment résisteraient-ils à nos assauts sur un champ de bataille de fortune ? Les soldats allemands, en revanche, sentaient plus que jamais la menace d’une défaite dorénavant fatale. « Position imprenable, » leur avaient répété de bonne foi tous leurs chefs. Et la position était prise ; le premier rempart de l’Empire était aux mains d’adversaires que désormais rien n’arrêterait. Leurs lettres sont empreintes d’un sombre désespoir ; le découragement y alterne avec la fureur. De fait, on semble voir un gladiateur qui, sa cuirasse rompue d’un maître coup de glaive, fléchit des genoux sous ce coup. Avant quelques semaines, il lèvera la main, demandant grâce, sous la menace du poignard de miséricorde.

Le Haut Commandement allemand mesure mieux que personne l’effroyable péril auquel il est exposé ; ses voies de communication