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comme à un vieil ami et en toute simplicité. Elle lui communique ses impressions sur des lectures, sur les sermons ou les conférences entendus, elle lui demande son avis sur les grands écrivains de Paris qu’il connaît, elle a recours à ses conseils pour des travaux littéraires. Parfois, elle est prise de crainte à l’idée d’importuner un homme si occupé. Il proteste alors de l’intérêt qu’il prend à ses lettres. Son vieux cœur aigri et blessé s’attendrit devant une gentillesse aussi vive et aussi confiante.

« Vous ne vous faites pas d’idée, écrit-il, combien en me racontant simplement vos affections, vos liens, le milieu morne où vous vivez et respirez, vous me reportez bien loin en arrière… Cette vie que vous me décrivez, même avec ce que vous y marquez si délicatement de privations et de sacrifices imposés, ç’a été ma poésie. »

Il se plaint de la vie trop intellectuelle qu’il est contraint de mener et remercie celle qui lui ouvre un aperçu sur un monde plus paisible et plus simple.

« Jugez donc combien il est agréable, ayant un si vilain et si nul chez-soi, de pouvoir regarder dans le chez-soi de ses amis, d’y lire le bonheur dans le vrai sens et le contentement du cœur même sous des teintes voilées [1]. »

Un jour, elle lui avoue se sentir bien petite auprès de lui.

« Vos lettres me sont un vrai plaisir et bonheur, répond-il, si j’osais encore employer ce mot. Des marques vraies et désintéressées d’affection sont rares ; c’est une vérité d’expérience que vous ne savez pas. Permettez-moi de redresser quelques-unes de vos idées à mon sujet. D’abord, je vous demande instamment de supprimer, si vous voulez bien me favoriser de vos lettres, ces témoignages excessifs que je ne mérite pas, qui ne m’appartiennent pas, et qui empêchent qu’on se regarde simplement de près et en amis. De ce qu’un homme a un talent distingué qu’il est habile dans son art, dans sa profession, il ne s’en suit pas qu’il est un grand homme : ces derniers sont d’un ordre tout différent, embrassant des ensembles, ou gouvernant les hommes, ou sondant des sphères, renouvelant le monde en un mot quand ils y paraissent. Laissons-les dans leur gloire et leur majesté. Un homme de lettres, qui aspire même au rang

  1. Lettre du 24 juillet 1857.