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Bientôt dans ses confidences un élément romanesque perce timidement. « Cette langueur et cette teinte de tristesse et même d’ennui me plaisent assez, surtout s’il s’y mêle quelque impression affectueuse, une espérance ! c’est trop dire, — du moins une pensée qui avertisse que toute vie morale n’est pas finie et qui prête encore à ce que j’appelle l’imagination du cœur. » Après avoir parlé du Livre d’amour, de la crise douloureuse qui l’a inspiré et de son adieu définitif à la poésie, il hasarde : « Il y a encore dans la vie des inconséquences, et dans le cœur aussi ; il y a des velléités, des semblants de réveil, des moments qui pourraient encore donner l’idée du contentement et faire croire à des restes de beaux jours. C’en sera un si je (vous) vois, et si c’est bientôt. » Il est heureux et tout surpris lui-même d’être encore capable de ressentir une affection aussi pure ; il se sent relevé à ses propres yeux, il en est comme rafraîchi : « Vous êtes pour moi une amitié telle qu’il ne m’en reste aucune qui en approche, et telle que je n’en eusse osé espérer en cette saison aride, une de ces amitiés délicates qui devraient être les seules des dernières années où l’âme a tant de besoin de vivre par elle seule, de revivre et de se raviver, de retrouver, s’il se peut, une innocente fleur. Mon souci serait de m’en montrer digne, ma crainte est de ne l’être pas [1]. »

Quand elle reste plus de trois semaines sans lui répondre, il est pris d’inquiétude. « Qu’arrive-t-il ? Que devenez-vous ? Que pensez-vous ? Tous les termes habituels auxquels vous m’avez accoutumé dans votre aimable correspondance sont expirés, et je ne reçois de vous aucun signe. Je suis inquiet, j’ai attendu et espère de jour en jour ; je n’ai pas écrit, me disant : Cela sera sans doute à demain, et rien n’est venu. De grâce, un mot, un seul mot qui me rassure ! » (29 avril 1858.) Il craint de la voir se détacher de lui. Pourquoi lui a-t-elle « un moment fait entrevoir l’avenir », pour le lui « refermer aussitôt ? »

Insensiblement, on voit naitre en lui l’espoir d’une intimité plus tendre et plus complète. En songeant aux obstacles que la différence d’âge, les habitudes, le milieu, la religion mettent entre lui et son amie il est pris de découragement :

« O noble et belle âme toute spiritualiste qui ne voyez les

  1. Lettres des 8 octobre 1857, 28 janvier et 11 juillet 1858.