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c’est impossible. Toujours est-ce, ma chère enfant, que j’ai crié vers vous, et que vous n’avez pas répondu à mon cri. Parlons d’autre chose [1]. »

La correspondance continue comme auparavant, mais devient plus impersonnelle. Sainte-Beuve parle de Musset, du couple de Gasparin, de Pascal, de la nature. Un jour pourtant, Adèle Couriard est prise d’envie de connaître le fond de la nature de son ami et hasarde quelques questions. Sainte-Beuve la gronde un peu, tel un maître d’école donnant sur les doigts à une fillette trop curieuse.

« La question que vous me faites est délicate, et difficile à traiter en toute saison. Y a-t-il quelque chose d’un peu défraîchi ? Le duvet du front est-il un peu défleuri ?... Voilà bien des curiosités d’Eve. J’ai beau attendre, ma plume ne redeviendra jamais assez jeune et assez légère pour se jouer à ces questions de gai savoir et de tendre science qui ne veulent qu’être effleurées par un souffle du matin et du printemps... Au moral... je suis peu montrable à mes amis. J’ai regretté quelquefois de vous voir prendre les choses d’une manière si divine et si éthérée, parce que cela vous éloignait trop de moi, et que tôt ou tard il devait venir un moment où le désaccord apparaîtrait, vous demeurant trop haut, et moi retombant trop bas... Je suis donc sans illusion, sans ambition, dans la situation du sage qui n’aspire qu’au repos ; par malheur le repos devient de l’ennui quand on n’est pas tout à fait ce sage : de là des misères qu’on garde pour soi et où l’amitié d’une belle et lointaine demoiselle n’a rien à voir. »


Les questions religieuses tiennent dans cette correspondance une grande place. Le critique a tout de suite avoué son scepticisme. Parlant de M. de Gasparin, il écrit : « Je sais sa chaleur d’âme, ses qualités vives, son éloquence ; il en a les sources dans son cœur. Après cela il faut bien que je me confesse à vous, avec qui je ne veux jamais feindre. J’ai pu écrire des histoires chrétiennes, avoir des veines et des inspirations chrétiennes passagères, mais hélas ! je ne suis pas chrétien ; je ne suis pas de l’École de Jésus-Christ, si admirable que je la sache et que je

  1. 17 mars 1859.