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la respecte. — Voilà un grand aveu. Je ne suis qu’un observateur de la nature en elle-même, dans son immense variété, un des plus humbles et des plus indignes de la grande Ecole de Goethe. [1] »

La plus importante de ces lettres, à ce point de vue, est celle où il raconte les principales étapes de son évolution religieuse, et comment il s’est peu à peu installé dans un scepticisme définitif.

« Elevé simplement, moralement et dans une religion modérée près de ma mère, en province, je suis venu à Paris à l’âge de treize ans et demi, déjà assez avancé pour l’esprit et pour les études, et très vierge de cœur. Pendant une année l’idée religieuse s’est plutôt développée en moi et exaltée par suite des chagrins de l’absence et de l’ennui du foyer natal. Mais l’année d’après, le courage humain a pris le dessus, je me suis fait homme comme je l’entendais et je me suis initié de moi-même par toutes sortes de lectures aux idées philosophiques : je n’ai pas tardé à les pousser très loin, au moins quant aux résultats, et il n’en était aucune qui m’effrayât, même par ses absolues négations. Cet état resta le mien pendant des années, et m’est devenu fondamental. J’y ai joint des études de médecine et d’anatomie dirigées d’après les mêmes inspirations purement positives. Toutefois, ayant beaucoup souffert, vers l’âge de vingt-cinq ans, j’éprouvai, pendant six ans, une sorte de maladie de la sensibilité, qui prit un caractère mystique, plus poétique que religieux sans doute, mais qui affecta aussi la forme chrétienne. C’est alors que je fis un petit recueil de poésies intitulé les Consolations, qui, depuis, ne s’est plus réimprimé séparément : sans quoi je vous l’enverrais, et il vous plairait, et il vous referait illusion encore, malgré tout ce que je pourrais ajouter de contraire. C’est simplement un rêve céleste de six mois dans ma vie. Mais il m’en est resté longtemps quelque chose, notamment la faculté de comprendre la tendresse chrétienne et d’y entrer, lorsque je rencontrais des personnages qui en étaient imbus et pénétrés. C’est ainsi que j’ai pu aborder le sujet de Port-Royal ; mais auparavant j’avais comme épuisé la poésie et le roman du genre dans un livre assez singulier intitulé Volupté dont le nom est plus léger que le fond, et que je ne vous conseillerais pourtant pas de lire.

  1. 31 août 1857.