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« Il est résulté de cette série de compositions et d’études dans cette direction, que je sais tout ce qu’on peut dire en faveur et en l’honneur d’une certaine doctrine, et qu’au besoin je le dirais moi-même ; mais les doctrines fondamentales dont je vous ai parlé et qui tendent à tout expliquer par l’organisation et par la nature, n’ayant fait que gagner en moi sous main, j’ai acquis cette disposition sceptique définitive qui me range dans la moins bonne classe de ceux que vous me dépeignez. Il est d’ailleurs si loin de ma pensée de jamais détourner personne d’une autre voie et de me faire prêcheur, que vous avez pu lire plusieurs volumes de moi sans trop voir éclater ces sentiments, et qu’il faut, pour que je vous les expose ici avec cette franchise, le besoin que j’ai d’éviter aucune dissimulation, aucun malentendu entre nous...

« Quand je suis allé dans le canton de Vaud, j’ai trouvé d’aimables prêcheuses, notamment Mme Olivier, dont vous avez pu lire le livre de poésies qu’elle a publié de concert avec son mari (Les deux Voix) ; j’ai surtout rencontré en M. Vinet un homme qui était le plus fait peut-être pour inspirer un respect tendre et un désir de conciliation dans l’ordre des idées et des espérances. J’ai écouté, j’ai goûté, j’ai admiré et senti. Vous savez que ce n’est pas là croire.

« Vous pouvez parler comme eux, je vous écouterai de même ; je m’explique ces ardeurs d’un jeune cœur pur, élevé, en qui les belles aspirations débordent, ces émulations pour Elisabeth Fry, comme d’autres, en d’autres lieux et en d’autres communions, nommeraient sainte Thérèse. Madame votre mère a pu éprouver cela en son temps et à votre âge ; mais c’est encore dans la famille (j’en parle, hélas ! comme un aveugle), que ces exaltations premières qui ne sont qu’un vœu des belles natures trouvent leur emploi et s’apaisent. »

Il proteste de son respect pour les convictions des autres et de sa répugnance au prosélytisme. Il ne croit pas aux miracles, la croyance au surnaturel n’est pour lui qu’une « belle et louable illusion. » « L’espérance et la foi se paient déjà à l’avance jusqu’à un certain point par elles-mêmes, par leurs propres mains, en procurant une consolation actuelle à l’âme qui les possède. » Dans une lettre du 25 juin 1859, se trouve cette définition : « A mes yeux, (l’amour pour Dieu) c’est de l’amour transposé (et à fonds perdu). »