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Quant au « neutralisme », qui, sans atteindre les masses profondes de la population, exerce ses ravages dans certains milieux instruits, le doute n’est pas permis. Il est inspiré directement par l’Allemagne, qui a trouvé, en Alsace-Lorraine, des complices agissants. Durant les derniers mois, les tracts neutralistes se sont multipliés. Ils sortent de deux officines, celle de Francfort et celle de Baden-Baden, où quelques Alsaciens dévoyés se sont mis au service de « l’Empire républicain » pour essayer de détacher nos deux provinces de la France. J’ai là, sur son bureau, une dizaine de manifestes. L’un d’entre eux, le plus violent, est adressé aux instituteurs d’Alsace-Lorraine. On y prêche ouvertement la révolte. Or, ces excitations à la haine et à l’émeute sont confiées à la poste française, à Strasbourg et à Mulhouse, comme en font preuve les timbres oblitérés ici. Les neutralistes d’outre-Rhin ont donc des comparses en Alsace. Comment se fait-il qu’on ne les ait pas encore découverts et que la poste continue, malgré les avertissements de la presse, à mettre ses services à leur disposition ?

Qu’on ne s’y trompe pas, cette agitation malsaine exerce une action déprimante. Si on aime la France, dans les provinces retrouvées, on n’y a pas, dans tous les milieux, une admiration sans bornes pour ses institutions. Il est relativement facile, en agitant par exemple le spectre de la séparation de l’Eglise et de l’Etat et celui de la neutralité scolaire, de soulever les méfiances d’une population très croyante. Il n’est pas davantage malaisé de faire croire aux ouvriers qu’ils perdront prochainement le bénéfice des lois allemandes d’assurances et de protection du travail. Les neutralistes ont trouvé des formules dangereuses : « Pourquoi l’Alsace-Lorraine ne formerait-elle pas un Etat autonome sous le protectorat de la France, sans charges financières, sans service militaire, sans fonctionnaires étrangers ? » Je ne discute pas ces niaiseries (car c’est le seul mot qui convienne), je me borne à les relater, pour bien montrer par quels moyens déloyaux l’Allemagne battue essaye de reprendre sa proie.

La neutralisation de l’Alsace-Lorraine n’a plus aucune chance d’aboutir. Pourquoi dès lors les Allemands ont-ils entrepris cette déconcertante campagne ? Simplement pour que la question alsacienne-lorraine reste ouverte ; pour que, demain, quand ils auront été admis dans la Société des Nations, les