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n’avait point un grand génie. « Il m’a paru non pas fou tout-à-fait, dit l’abbé Sombardier, mais d’une grande inconséquence et d’une grande légèreté dans ses idées, au point que je l’ai quelquefois jugé un peu aliéné. » Il n’importait pour ce que Malet en voulait faire.

Il avait à présent groupé, grâce à Lafon, les comparses indispensables à l’exécution de son projet, et peut-être ceux qui lui étaient le plus utiles, le servirent-ils inconsciemment. Par Ducatel, il apprit les noms des prisonniers d’État détenus à La Force, et il établit ainsi la liste de ceux, qu’il pourrait employer ; par Rateau, il avait eu les noms des officiers de la Garde de Paris, et il avait pu établir les ordres individuels pour chacune des compagnies. Boutreux avait apporté quelques corrections nécessaires à des documents dont le style en 1808, n’avait rien de juridique ; il devait servir de secrétaire, faire les courses, porter les paquets, et l’on n’avait point à craindre d’indiscrétion de sa part. Enfin, où trouver un meilleur asile que dans une maison sans portier, d’un cul-de-sac sordide, chez un prêtre espagnol, parlant un extraordinaire jargon, habitué au silence et ne connaissant personne ?


LES PIÈCES DU COMPLOT

Restaient à composer et à fabriquer matériellement les instruments du coup de surprise. Malet n’a rien cherché, rien trouvé de mieux que les pièces de sa conspiration de 1808. Il va donc en reproduire l’esprit, sinon les termes. Fondant ensemble le prétendu Sénatus-Consulte du 20 avril, et le prétendu Décret du 29 mai, il les amalgame assez habilement, de façon, non certes à abuser un individu circonspect, mais à ébranler sur le moment un esprit médiocre, et à le jeter, par la surprise, dans une sorte d’étourdissement. Il profitera aussitôt du trouble produit par la nouvelle de la mort de l’Empereur, et sans laisser à son interlocuteur le temps de se reconnaître, il le noiera dans des détails, l’affolera par des menaces, l’éblouira par des titres, des grades, de l’argent. Et de ces réflexions, il a composé ce Sénatus-Consulte dont les termes, cette fois, n’ont rien de choquant à l’égard de l’Empereur, ce qui est une habileté et une vraisemblance.