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d’une obligation, la reporter à une époque où le change sera peut-être moins défavorable. Cette solution doit être recherchée pour les opérations dont le but est de satisfaire à des besoins essentiels ; il est légitime de l’adopter pour des achats de matières premières destinées à être transformées en objets fabriqués qui seront ensuite exportés. Cette revente nous donnera du change et nous permettra de rembourser alors les crédits ouverts maintenant. Mais nous ne saurions trop insister sur le devoir qui s’impose à tout Français de restreindre en ce moment ses dépenses.

Malheureusement nous vivons dans l’illusion de la richesse, due à la multiplication désordonnée des billets de banque, à laquelle nous avons assisté pendant la guerre et qui s’est formidablement aggravée depuis l’armistice. Qu’au cours des hostilités le gouvernement se soit adressé à la Banque pour obtenir d’elle des avances : c’était naturel. Mais il fallait y mettre un terme le 11 novembre 1918, à la minute où le canon cessait de gronder et où le premier devoir des ministres était de préparer le passage du pied de guerre au pied de paix. On a fait le contraire. Le Trésor devait à la Banque, le 14 novembre 1918, 22 milliards ; le 18 septembre 1919, près de 28. La circulation des billets, qui approche de 36 milliards, a plus augmenté au cours des dix derniers mois que pendant aucune des années de guerre. C’est là le grand mal et la cause la plus certaine de la détérioration de notre change, qui se confond ici avec celle de notre monnaie. Un billet de banque ne conserve sa valeur qu’à la condition que le public ait confiance dans la reprise des paiements en espèces. Il se passe volontiers de ce remboursement en temps de crise, mais il ne veut pas en voir la possibilité reculée à l’infini. Il se préoccupe du rapport entre l’encaisse métallique et le chiffre de la circulation, et quand il voit cette proportion, qui était de 70 pour 100 en 1913, tomber aujourd’hui à 11 pour 100, il demande une autre politique.

C’est la plus dangereuse des ‘erreurs que de s’imaginer qu’émettre des signes fiduciaires, c’est créer de la richesse. Le papier n’est pas autre chose qu’une promesse de numéraire, d’autant plus fragile que la quantité de ce dernier est plus faible par rapport à la masse des billets. A partir de la minute où un doute pénètre dans l’esprit de ceux qui sont appelés à