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Les arguments de l’empereur Guillaume ne réussirent pas à vaincre le refus de l’empereur Nicolas, et, au mois de décembre, le projet de traité semble être définitivement abandonné.


C’est alors que l’empereur Guillaume se décide à frapper un coup décisif ; il se dit que, s’il n’a pas réussi à convaincre l’empereur Nicolas par voie de correspondance, un contact direct avec le souverain russe pourrait lui assurer le triomphe. Le calcul était habile, car de tout temps, dans les relations personnelles entre les deux souverains, l’impétueuse personnalité de l’empereur Guillaume avait dominé le caractère plus faible et la nature plus affinée de l’empereur Nicolas. Celui-ci se rendait parfaitement compte de cette inégalité et redoutait de se trouver en tête-à-tête avec le souverain allemand et de subir le choc de sa fougueuse éloquence ; j’ai pu, en plusieurs occasions, constater la nervosité qui s’emparait chaque fois de l’empereur Nicolas à l’approche d’une entrevue avec l’empereur Guillaume, nervosité qui ne disparaissait que l’entrevue une fois terminée. L’empereur Guillaume résolut donc, vers la fin de l’été de 1905, d’annoncer brusquement sa visite à l’empereur Nicolas.

Guillaume II avait dû, cette année-là, en raison du différend Suédo-Norvégien, renoncer à son voyage habituel aux fjords norvégiens ; dans la seconde moitié de juillet, il faisait une croisière au large des côtes suédoises de la Baltique ; l’empereur Nicolas de son côté était venu se reposer des émotions et des fatigues de cet été si troublé en Russie, dans les eaux de l’archipel finlandais, tout près de Viborg. Le 23 juillet, le monde fut surpris par l’apparition inattendue de l’empereur allemand à bord du Hohenzollern dans la rade de Bjorkoe où se trouvait l’empereur Nicolas à bord de son yacht l’Étoile Polaire : c’est là qu’eut lieu l’entrevue des deux souverains et que fut signé le traité secret dont il a été si souvent question depuis sa publication par le gouvernement révolutionnaire russe.

Il est aujourd’hui démontré que l’entrevue de Bjorkoe a été savamment machinée par l’empereur Guillaume. A l’époque où elle eut lieu, la presse allemande, inspirée par la Wilhelmstrasse, s’était appliquée à en attribuer l’initiative à l’empereur Nicolas : la correspondance télégraphique échangée entre