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CIELS DU NORD


30 juillet 1917.

Nos premiers vols en ces contrées nous laissèrent des impressions jamais éprouvées encore. La terre partagée en d’innombrables champs diversement cultivés semble plus bigarrée qu’un manteau d’arlequin. De multiples voies d’eau la sillonnent de toutes parts comme des vaisseaux sanguins à travers le corps humain. Et la mer, inconnue de nos ailes, tantôt plombée sous la brume, tantôt lumineuse au soleil, se confond à l’horizon avec le ciel en un riche tapis de soie émeraude lamé d’or, strié d’argent, zébré d’azur que labourent çà et là les sillons écumeux des escadres et des patrouilleurs.

Au bord de l’Yser, dont les deux rives sont cousues entre elles à larges points par la multitude de ponts qui les réunissent, Ypres dresse ses ruines rougeâtres et effritées comme une plaie sans cesse avivée par le fer et par le feu. En avant, vers Pilken, Langomarck, Saint-Julien, pauvres villages enterrés, l’effroyable bombardement de ces quatre derniers jours précédant l’attaque, a créé un désert parsemé d’entonnoirs pleins d’eau. Sur des lieues carrées la terre retournée montre ses entrailles d’argile claire : une plaque de cuivre régulièrement martelée sur laquelle maisons, chemins, arbres ou gazons, rien ne subsiste. Plus loin, Dixmude s’assoupit détruite et silencieuse près des glauques inondations. Les champs de bataille de la Somme, voici deux ans, n’étaient que menu jardinage comparés à de tels défoncements.

Au gré des vents ondulent sur ces contrées désolées les épaisses colonnes de fumée des dépôts de munitions en feu. Faute de pouvoir en distinguer les détails, il nous semble que le sol lui-même se consume. Un brasier s’allume à la lisière de la forêt d’Houtulst, ses noirs tourbillons obscurcissent le sol vers Roulers ; çà et là, la chute brutale des gros projectiles soulève des volcans de débris et le crépuscule scintille de la lueur incessante des coups de canon.

A plus de 4 000 mètres en l’air les départs de la grosse artillerie Franco-anglaise ébranlent nos nefs légères de chocs soudains, tandis que le vent des obus qui passent les soulève sur d’invisibles vagues. Parfois surgit à nos regards étonnés un