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LA LÉGENDE
DE LA
« RONDE DE NUIT »

Les biographes de Rembrandt se sont ingéniés, par souci littéraire, à ne projeter sur la vie du Maître que des fulgurations intermittentes, sur le fond d’obscurités qu’une légende romanesque, assez malveillante, avait amoncelées autour du nom, et des œuvres mêmes, du peintre des Syndics et du graveur des Cent Florins. C’était bien tentant ; car le parallélisme de l’effet littéraire satisfaisait facilement ceux qui ne cherchent dans l’histoire du grand artiste qu’un délassement de l’esprit, avec quelques images vigoureuses, conçues sur ce principe rembranesque, défini par Reynolds, d’une réserve d’un huitième de la surface de ses tableaux pour l’irruption de la lumière, dans six huitièmes de demi-teintes colorées ; le reste étant destiné aux vigueurs des ombres fortes.

Depuis le milieu du XVIIe siècle, du vivant même de Rembrandt, on la voit progresser, cette légende fantastique, puis s’obscurcir, comme l’éclat de ses toiles les plus lumineuses, sous l’accumulation des vernis encrassés par la fumée des pipes et les feux de tourbe, dans les lieux publics d’exposition.

On surprendrait bien des artistes, avec la masse des amateurs d’art si, par une bonne fortune qui n’est pas probable, certains tableaux de Rembrandt, jamais revernis et n’ayant acquis sous l’action du temps qu’une patine blonde à peine sensible, leur étaient présentés, quelque jour, à côté de ses portraits couleur de mandarine, qui ont trois millimètres de