Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 54.djvu/887

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieux vernis superposés et qui imposent aux jeunes peintres une conception si erronée de la palette du Maître de la lumière ensoleillée.

N’est-ce point Delacroix qui a dit que la chair des femmes n’avait tout son éclat qu’au soleil ? C’est ce qu’avait compris Rembrandt, deux cents ans plus tôt, en le mettant en pratique dans ses merveilleux portraits ensoleillés, dont on ne soupçonne plus que les valeurs éteintes dans certaines collections publiques, où le revernissage annuel se pratiquait, administrativement, à toutes les visites du Roi. Rien ne serait plus décisif que le rapprochement du beau Portrait d’Anna Vijmer, si frais de ton dans les chairs, si peu coloré dans les blancs de son étourdissante collerette, qu’il semble peint d’hier, comme le Portrait de Seriziat par David ; rien ne ferait mieux saisir l’effet des vernis qu’une confrontation de cette Anna Vijmer, de la collection Six, avec le Rembrandt appuyé de Londres, — déjà décrassé, en partie, de ses vernis opaques, — puis avec notre grand Portrait ovale du Louvre, peints tous trois vers la même époque, pour juger du discrédit progressif qui s’attachera à nos trésors du Louvre, si l’on n’ose pas les dévernir.

Il en est de même de la légende de l’artiste, qu’on voit poindre dans la malveillance et les petits ragots des vieux peintres qui l’avaient combattu, au nom de l’italianisme, et qui subirent son ascendant sans comprendre ce qui constituait son génie ; qui l’avaient jalousé lors de ses grands succès de novateur fêté par toute la Hollande enfin libre, et que sa lutte ardente contre la Bent, — la Bande noire de ce temps-là, — avait aigris ; jusqu’au moment où l’affaire des Cartésiens servit de prétexte, à quelques politiciens d’Amsterdam, pour abattre le grand artiste, en le jetant sur le pavé, après avoir saisi et fait vendre, à vil prix, tous ses biens meubles et immeubles.

Elle devait être déjà puissante, à cette date, cette légende, pour que ses ennemis aient pu organiser la désertion des enchères de sa collection, qui représentait, à elle seule, une valeur de deux cent mille florins, dont on ne réalisa pas le quarantième, pour assouvir ses créanciers [1].

Pourtant, des faits certains viennent de jour en jour détruire ces légendes. Un autre Rembrandt apparaît. Ce n’est

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1916.