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forfait contre-révolutionnaire et qu’il eût, en prévision, escamoté le fils de Louis XVI pour en disposer sans obstacle au moment opportun, peut-on s’étonner qu’il n’ait pas, in extremis, révélé cette soustraction ? Avant le verdict, c’eût été se livrer au bourreau ; la condamnation prononcée, c’était léguer à ceux qui l’envoyaient à la mort le talisman sauveur dont, en se taisant, il les frustrait, par vengeance posthume, à tout jamais.


Sans émettre la prétention de trancher la question, il est manifeste que l’hypothèse du Dauphin enlevé sur l’ordre de Chaumette, au départ de Simon, son docile agent, n’est pas incompatible avec les rares et laconiques documents qui nous renseigneront désormais sur l’attristante histoire de l’Enfant du Temple. Car de toute certitude, il y a un enfant dans la Tour sombre, au-delà des corps de garde, des murs d’enceinte, des guichets, des portes de fer ; un enfant de neuf ans, tout le jour solitaire, silencieux, désœuvré, concentré dans son abandon et dans ses pensées. Si c’est le Dauphin, transformé par l’isolement au point d’être méconnaissable, si c’est le fils de Marie-Antoinette, le garçonnet espiègle et volontaire qu’on a vu tenant tête aux Conventionnels, aux Municipaux et aux officiers de la Garde du Temple, si c’est lui, quelle déchéance ! Quel poids écrasant charge sa jeune âme ! Revoit-il, dans le court recul de ses souvenirs, les frais jardins de Trianon tout réjouis de chants d’oiseaux et de frémissements d’ailes ; la terrasse de Versailles peuplée de marbres alignés sous la coupole en fleurs des marronniers, alors que les gens, courbés par le respect, l’appelaient Monseigneur et que de belles dames en falbalas l’entouraient de soins et d’hommages ? Songe-t-il à son jardin des Tuileries, sous le grand soleil, où la foule attendrie, tenue par les soldats à distance respectueuse, crie Vive Monsieur le Dauphin ! dès qu’elle l’entrevoit à travers les lilas, avec sa petite épée au côté, son cordon bleu, et, sur la poitrine, l’étoile de diamant, l’étoile du Saint-Esprit ? Pourquoi le laisse-t-on seul, maintenant, toujours seul ? Pourquoi le monde est-il devenu si méchant ? Pourquoi plus jamais de récréations, de jeux, de lectures, de devoirs ? Pourquoi l’a-t-on mis en si longue pénitence ? De quoi est-il puni ? Où est sa maman, la belle reine dont il était si fier ? Où sont sa sœur, sa tante ; où sont ses oiseaux et son chien ? N’aurait-on pu lui laisser son chien ? Tant