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conscience nationale et la souveraineté populaire. Généreuse pensée, mais dont la réalisation n’allait pas sans d’énormes difficultés, à l’heure surtout où du jeunes nationalités, à peine affranchies d’un joug séculaire, travaillées par d’ardentes rivalités et partiellement mélangées entre elles, d’ailleurs, sur leurs territoires respectifs, multipliaient les problèmes posés et compliquaient à l’infini la tâche des plénipotentiaires.

Ajoutez qu’au lendemain de l’armistice, cet égoïsme sacré dont un homme politique italien a trouvé le nom, mais qui n’est pas seulement pratiqué dans la péninsule, a repris chez les Alliés ses droits momentanément suspendus par les hostilités, que chaque peuple est revenu à son optique particulière et que, par un phénomène d’auto-suggestion progressive, ceux-là mêmes qui avaient eu, dans la victoire commune, la part la plus modeste, ont fini par croire, comme les autres, qu’ils avaient été les véritables maîtres de l’heure triomphale. Voilà, à tout le moins, quelques-unes des raisons qui expliquent les déceptions laissées par l’œuvre accomplie. Qu’il y ait ou non d’autres motifs à nos mécomptes, c’est ce que je trouve, quant à moi, tout à fait prématuré de rechercher, à un moment où la paix n’est pas même devenue une réalité et où tant d’efforts sont encore nécessaires pour mettre à l’abri des futurs coups de main les deux nations qui veillent, côte à côte, aux « frontières de la liberté, » la Belgique et la France.

De tous les traités destinés à créer le nouveau statut de l’humanité, celui de Saint-Germain était peut-être le plus difficile à rédiger et il n’est pas surprenant que, ni à la Chambre, ni au Sénat, la ratification n’en ait été votée avec beaucoup d’enthousiasme. A la veille de la guerre, l’Empire d’Autriche-Hongrie était un édifice composite qui, sous les apparences d’une organisation dualiste, renfermait une agglomération disparate de nationalités. Ce qu’Albert Sorel disait des États héréditaires que la maison d’Autriche administrait en 1789 était resté vrai. Il y avait des extrémités partout; de centre, nulle part. La maison de Habsbourg retenait sous son sceptre des nations entières comme les Hongrois ou les Tchèques, qui ont leur existence propre et leurs traditions particulières, et aussi des fragments détachés d’autres nations, telles que des Roumains, des Serbes, des Croates, des Slovènes ou des Polonais de Galicie. Comme il était impossible de fondre ces populations diverses en un tout homogène et comme l’Empire n’avait pas su, pour les gouverner en commun, leur laisser dans un groupement fédératif une certaine indépendance,