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s’étonnaient que certains esprits de la capitale manifestassent un tel changement dans leurs opinions politiques. »

Guillaume II fut encore plus détesté peut-être que son grand-père, et la voix publique le tenait communément pour fou. On railla sa personne, ses attitudes de matamore, sa manie d’envoyer des dépêches à tort et à travers, ses manières de commis-voyageur, ses déplacements continuels, jusqu’au ton même de ses discours[1]. La célèbre allocution de Gnesen, en 1906, où l’empereur jutait l’anathème sur les Nörgler ou mécontents, provoqua d’amers sarcasmes. Les révélations du journal anglais le Daily Telegroph, en 1908, déchaînèrent spécialement en Bavière une indignation sans précédent. Combien de temps l’activité brouillonne de cet irresponsable serait-elle encore un péril pour l’Allemagne ? Les Münchener neueste Nachrichten publièrent des articles rédigés sur un ton très vif. Plus encore que cette feuille libérale, les Historisch-politische Blätter formulèrent de véhémentes récriminations. Guillaume II, affirmaient-elles, était le produit de la perversion morale produite dans l’Empire par les victoires de 1870. Les patriotes patentés, libéraux pour la plupart, avaient donné au peuple une éducation toute servile, l’avaient habitué à approuver tous les gestes et toutes les paroles de César, à l’acclamer, quoi qu’il fît. Bien d’étonnant à ce que celui-ci se crût appelé à exercer un gouvernement purement personnel : il s’en acquittait comme on pouvait s’y attendre d’un impulsif couronné.

De peuple à peuple, les sentiments n’étaient pas plus cordiaux. « Voyez-vous, disait une légende du Simplicissimus sous un dessin qui représentait un Hartschier (soldat de la garde particulière du Roi) en conversation avec un bourgeois de Munich, ce qui se passe aujourd’hui ne plait pas à un homme comme moi ; je suis encore un soldat du bon vieux temps, quand on pouvait tirer sur les Prussiens. » Et j’en citerai encore une autre, court dialogue saisi dans un café entre un Berlinois et un indigène : « S’il vous plaît, quelle heure est-il ? — Est-ce que vous croyez que j’ai acheté ma montre pour les Prussiens ? » Il y avait une opposition radicale entre les deux races, une opposition qui remontait à des époques très

  1. En conséquence, et selon les dispositions du Code pénal, les tribunaux bavarois ont infligé aux publicistes du royaume de nombreux mois de prison pour crime de lèse-majesté. Le Simplicissimus en récolta sa large part.