Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 59.djvu/489

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de juin, à Cracovie, dans le beau palais qu’habita Stanislas-Auguste et dont la comtesse Joseph Potocka fait aujourd’hui si gracieusement les honneurs, la conversation tomba sur ce sujet. Quelques jeunes gens raillèrent assez librement l’excessive prudence de certains conservateurs galiciens, qui, pendant les trois premières années de la guerre, avaient paru se préoccuper surtout de conserver de bonnes relations avec le gouvernement de Vienne. On opposait cette timidité des « Messieurs de Cracovie » à l’altitude courageuse des Posnaniens, et l’on rappelait les magnifiques paroles prononcées en mars 1918 au Reichstag par le député Trampezynski, aujourd’hui maréchal de la Diète polonaise. Comme un conservateur prussien reprochait aux Polonais de ne point marquer assez vivement leur gratitude envers les États qui avaient reconnu leur indépendance : « La gratitude, s’était écrié le député de Posen, peut-il en être question, quand il s’agit de votre politique ? Si l’Allemagne a brisé la tyrannie du Tsar, ce n’était certes pas pour le plaisir de libérer la Pologne. Dans l’acte du 5 novembre 1916, l’Allemagne et l’Autriche n’ont cherché que leur intérêt. » Et l’on évoquait encore la protestation élevée en pleine Chambre des Seigneurs par un autre Posnanien, le docteur Seyda, contre l’hypocrisie de la politique allemande à l’égard du nouvel État polonais. Pendant ce temps, à Vienne, les Galiciens rompaient avec les Tchèques et acceptaient le compromis offert par le gouvernement austro-hongrois.

Une jeune femme qui avait écouté en silence toute cette discussion, haussa légèrement les épaules et dit : « En Galicie, comme dans toute la Pologne, il y a eu les sages et les fous. A quelles conditions la guerre européenne pouvait-elle nous apporter le salut ? Il fallait que, toutes, deux, la Russie et l’Allemagne sortissent vaincues du conflit. Ce résultat extraordinaire, pouvions-nous l’escompter raisonnablement ? Je ne le pense pas ; mais nous pouvions ardemment l’espérer. Au début de la guerre, lorsqu’ici même je vous avouais mon espoir, ou plutôt ma foi, « idée de femme, » m’ont répondu quelques-uns d’entre vous, et ils m’ont traitée de folle. Grâce à Dieu, nous étions beaucoup de fous, même en Galicie, et ce sont les sages qui ont eu tort. »

Il y a eu, il y a peut-être encore aujourd’hui à Cracovie et dans l’ancienne Pologne autrichienne des gens que retiennent