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attachés à l’ancien état de choses des préjugés, des traditions ou des intérêts. Dans la Pologne d’aujourd’hui, comme dans l’Italie d’autrefois, l’idée d’indépendance, souffre d’être unie à l’idée de révolution. Certains conservateurs galiciens ne peuvent s’empêcher de voir surtout dans le nouveau régime le triomphe de la démocratie ouvrière et paysanne, l’expropriation et le partage des terres ; je ne parle pas de ceux qui voyaient surtout dans l’ancien des pensions, des ordres, des uniformes et des charges à la Cour. Mais, en revanche, combien en ai-je rencontré, de ces fous, ou plutôt de ces croyants, qui, dès les premiers jours de la guerre, tendirent leur volonté et leurs efforts vers le but uniquement souhaité, la résurrection de la Pologne, y sacrifièrent leur tranquillité, leur position, leurs intérêts, et dont la dure et longue, épreuve ne fit point fléchir l’ardente et fière résolution ! M’est-il permis de citer, entre tant d’autres ; Mgr Sapieha, prince-évêque de Cracovie, qui, durant toute la guerre, sut tenir, tête au gouvernement de Vienne et donner à son clergé l’exemple irrésistible d’un zèle patriotique qui ne s’est jamais démenti ?


LA « LIBÉRATION » A CRACOVIE

Il était une heure du matin, lorsque je sortis du palais Potocki. Le comte T. me proposa de m’accompagner jusqu’à l’hôtel où j’habitais ; à travers les rues pittoresques de Cracovie silencieuse, la conversation continua. La lune éclairait splendidement la grand’place au milieu de laquelle se dresse la Halle aux Draps, et faisait briller comme un énorme joyau d’or la couronne royale dont la piété des Polonais a ceint l’un des clochetons de Notre-Dame, au grand scandale, dit-on, de Guillaume II Hohenzollern. C’est dans ce magnifique décor que mon compagnon évoqua les journées d’octobre 19, les journées de la « libération. »

— A la première nouvelle de l’effondrement de l’Autriche, dit le comte T. nos soldats arrêtent les officiers et leur signifient qu’ils n’obéiront plus aux ordres. Les généraux sont faits prisonniers et enfermés sous bonne garde. L’enthousiasme était si grand, la joie si folle, que plusieurs jours passèrent avant qu’on s’avisât que Cracovie et la Galicie n’avaient désormais ni armée, ni police, ni administration. Cette absence de toute