travaille surtout pour lui, qu’il crée la propriété individuelle surtout pour lui, et que si l’héritage n’existait pas, il y aurait un peu moins de travail, je le crois, mais non pas beaucoup moins, non pas une inertie générale capable d’amener la stagnation sociale que Thiers affecte de craindre.
Là où Thiers a raison, touche au fond même de la question, c’est quand, bravement, il représente la propriété individuelle comme une forme de l’aristocratie et dit que c’est pour cela qu’elle est bonne. La propriété est une sélection. Le désir de devenir propriétaire et de laisser sa propriété à ses enfants est le désir de créer une race. Un certain nombre de ces races forment dans une nation une aristocratie, la dernière que nous connaissions, celle qui survivra à toutes les autres, celle qui disparaîtra la dernière dans l’humanité, si elle doit disparaître. Cette aristocratie est mobile, très ouverte, continuellement débarrassée de ses anciens éléments usés, et rajeunie d’éléments nouveaux, forcée du reste pour se maintenir d’être intelligente et laborieuse, parce que, et de plus en plus, à cause de l’abaissement progressif du taux de l’intérêt, une fortune fond en trois générations, si elle n’est soutenue par l’intelligence, la sévérité des mœurs, et le travail. C’est une bonne aristocratie. Elle est utile comme stimulant. C’est elle qui dit aux classes inférieures le mot de Guizot : « Enrichissez-vous, » mot qui n’est odieux que si on ne le comprend pas. Dit à un homme isolé, le mot n’est pas noble, en effet. Conseil donné à des générations successives, il est excellent. Il signifie : Elevez-vous progressivement de père en fils. Ayez, vous, pauvre, non pas le désir de devenir riche vous-même, mais que votre fils soit dans l’aisance laborieuse, et votre petit-fils dans l’aisance généreuse et utile à l’Etat. Visez à des lignées ascendantes. Entretenez ainsi dans la nation une émulation perpétuelle qui est de quoi vit un peuple. Songez tous à renouveler sans cesse cette aristocratie qui existera toujours au-dessus de vos têtes, et qui est utile si elle se renouvelle, stérile et funeste si elle ne se renouvelle point. C’est là le but à atteindre, que la plupart n’atteindront pas, nous le savons ; mais ce n’est pas que tous y atteignent qui importe, c’est que tous y tendent, pour que la nation ne s’endorme pas, et pour que chacun donne, dans le pays, le maximum d’effort et d’intelligence et d’ingéniosité dont il est capable.