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d’une manière sensible que ce n’est pas dans le vide que nous nous préoccupons de définir ce que le Rhin peut être pour nous. L’issue de la guerre, les garanties que le traité de Versailles nous concède, la situation de fait qui nous est attribuée sur la rive gauche nous imposent de préciser notre pensée à l’égard du pays rhénan. Elles nous l’imposent, que nous le voulions ou non. Dès lors mieux vaut le vouloir.


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MESSIEURS, le Rhin a toujours attiré, obsédé même les imaginations des peuples à l’Est et à l’Ouest. On croit que le problème du Rhin est un effet de la politique. C’est une fatalité autrement puissante. Le Germain va sur le fleuve chercher la lumière du Midi, les vignobles, les cortèges joyeux ; la France, du mystère, de la tradition populaire, la musique, une fertilité neuve et luxuriante du sol et de l’imagination. D’une manière plus forte, reconnaissons dans cet attrait de la France vers le Rhin la nécessité d’une civilisation qui cherche de nouvelles matières, et la poussée d’une vocation. Si la France s’intéresse au sol fertile, c’est qu’elle veut l’ensemencer.

A vrai dire, notre sentiment exact du Rhin ne se définit pas en une fois. Il a varié d’époque en époque. C’est un sentiment qui, sans disparaître jamais, suit toutes les vicissitudes de notre fortune et de nos aspirations. On s’en assurerait en remontant le cours des âges, mais ce n’est pas notre projet de remonter le cours des âges ; nous ne prétendons pas exhumer les périodes abolies : d’autres l’ont fait, et, puisqu’il nous faut nous limiter, nous chercherons nos leçons et nos exemples dans notre riche histoire rhénane du siècle dernier.

Si la France s’intéresse au sol fertile de la Rhénanie, disions-nous tout à l’heure, c’est qu’elle veut l’ensemencer. Cette pensée va dominer toutes nos études. Le XIXe siècle a commencé un ensemencement prodigieux de la rive gauche du Rhin, — un ensemencement tel qu’au dire même des historiens rhénans, le pays n’en connut pas d’aussi heureux depuis l’époque romaine. C’est dans ce champ d’expériences, c’est dans la Rhénanie du XIXe siècle que nous chercherons notre éducation. Nous avons besoin de n’avancer qu’avec des faits et des réalités. Nous nous en tiendrons à l’expérience toujours contrôlable et vivante de nos pères et de nos grands-pères.