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Voyons donc comment les quatre ou cinq générations qui nous précèdent immédiatement ont chacune, tour à tour, interprété le rôle éternel de la France sur le Rhin.

En 1792 et 1793, après Jemmapes, l’élan révolutionnaire cherchant son expansion vers l’Est, un grand désir de libération démocratique entraînait vers le Rhin nos soldats et nos propagandistes. C’est l’esprit d’apostolat des plus vigoureux moments de notre histoire. Les clubs des villes rhénanes accueillent le drapeau tricolore ; les puissances féodales défaites sur nos champs de bataille sont refoulées par la collaboration des libéraux de Mayence et de Landau, de Cologne et de Spire. Quelle irrésistible poussée de dilatation du cœur français ! Ce cœur français bat si fort qu’il inonde toute la rive gauche d’une impulsion généreuse et facile. Il semble que, pour libérer les peuples, il suffit d’une résolution de citoyens assemblés et d’un décret de groupes délibérants. Ces Français qui arrivent sur le Rhin se considèrent comme les possesseurs de la seule foi politique justifiable et veulent l’offrir, l’imposer comme un don de la raison à des populations arriérées. De ces Français, les uns sont animés par un rationalisme court, les autres par un instinct de haute civilisation ; tous veulent régénérer l’Allemagne. Pour eux, le Rhin, c’est le pont par où les idées rationnelles, estimées seules légitimes, doivent achever la ruine d’un passé féodal ; c’est le débouché par où l’esprit de l’Encyclopédie adaptera l’Allemagne aux temps modernes.

Sur quel contenu moral cette action de l’esprit français et de la culture française va être exercée, c’est ce que nous indique Mme de Staël dans son livre De l’Allemagne. Livre admirable, et nous aimerions marquer son à-propos littéraire, mais, trop incomplet, et qui manque d’horizon politique. Mme de Staël s’enthousiasme dans l’atmosphère sentimentale de la Germanie, sans se préoccuper de l’œuvre bienfaisante qu’y réalisent les armées révolutionnaires et l’administration napoléonienne. En face d’une vie morale française ramenée à un civisme étroit, à un enrégimentement de l’esprit et du corps, c’est à l’enthousiasme et aux puissances vivifiantes de l’intuition que Mme de Staël voudrait que le Rhin put donner passage. Le fleuve sera pour elle et pour les romantiques qui procéderont d’elle la porte d’entrée des mystères et des musiques, l’introduction à l’idéalisme et à la rêverie. L’idéalisme par opposition à la