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Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 60.djvu/832

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heureux de trouver en Hongrie une hospitalité qui leur ouvrait une entrée si facile chez les nations d’Occident, s’ingéniaient à se montrer plus Hongrois que les Hongrois eux-mêmes, prenant leur langue, leurs façons, leurs sentiments, leur patriotisme aussi, avec cette ardeur excessive qu’ils apportent en toute chose. Beaucoup d’ailleurs étaient sincères. Comment ne pas avoir de la reconnaissance pour un pays qui les avait si largement reçus, et où ils jouissaient d’une situation, comme nulle part ailleurs dans le monde ?

Aujourd’hui, quel prodigieux changement ! Je ne reconnais plus Budapest. Le bon accord entre Juifs et Magyars, qui avait fait, dans les années de paix, la prospérité de la ville, n’est plus maintenant qu’un souvenir. Là encore la guerre a passé, — la guerre et une révolution, dont le prologue, si l’on peut dire, fut le meurtre du comte Tisza.


IV. — LE MEURTRE DU COMTE TISZA

Les Tisza n’appartiennent pas à la grande noblesse magyare ; on ne les voyait guère à la cour, et leur action n’aurait pas dépassé les limites de leur province si, en leur qualité de vieux calvinistes ardents, ils n’avaient toujours joué un rôle dans les synodes généraux de Hongrie. En 1848, quand les Hongrois, à la voix de Kossuth, se soulevèrent contre l’Autriche, trois frères Tisza s’engagèrent dans l’armée de l’Indépendance. L’un d’eux, laissé pour mort sur le champ de bataille, ne survécut que par miracle à ses cinquante blessures : c’est « l’homme au cœur de pierre, » le héros d’un roman célèbre où Maurice Jokaï a glorifié cette petite noblesse provinciale qui, partagée entre sa haine des Habsbourg et son aversion naturelle pour un nouvel ordre de choses, fatal à ses privilèges, choisit contre ses intérêts le parti de la Révolution.

Le plus jeune de ces trois Tisza demeura longtemps fidèle aux idées pour lesquelles il avait combattu, les armes à la main. Mais envoyé à la Chambre hongroise, il subit peu à peu les influences qui agissaient puissamment sur l’esprit des nobles magyars, dès qu’ils avaient quitté leur province. Chez eux, tout ramassés qu’ils étaient sur leur petite vie locale, ils ne comprenaient pas toujours quelle force la Hongrie tirait de son union avec l’Autriche. Ils s’en rendaient mieux compte à Budapest et