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— Eh bien ! mon vieux, donnez-moi une charrette à âne dans laquelle je trottinerai bien doucettement le long des routes, avec laquelle je m’en irai loin du bruit, du rondement des moteurs et de la folie de la trépidation, dans un pays où j’aurai le temps de vivre et où je ne serai bousculée ni au physique ni au moral.

— Mais…

— Mais c’est ainsi ; à moins que vous ne préfériez m’offrir le tapis des Quatre Facardins, grâce auquel on voyageait si délicieusement dans les contes…

— Hélas ! je ne peux vous l’offrir, celui-là, n’étant, vous le savez bien, qu’un très humble mortel.

— Mais si. Selon nos conventions, vous pouvez me l’offrir tout aussi bien que cette géante voiture de cinq cent mille francs…

— Après tout, vous avez peut-être raison ; mais, contradiction bizarre, cela ne me paraît pas du tout la même chose.


RAQUEL MELLER, ISABELITA RUIZ, A L’OLYMPIA


Un rideau noir. — Et sur ce fond obscur, l’apparition subite d’une femme toute en noir, le visage pâle sous la mantille sombre, et je ne sais quoi dans l’allure de furtif et de pathétique.

Elle chante des chansons d’Espagne. Sa voix douce, pure, plus insinuante que forte, attire et retient comme un filet de soie ; les gestes sont simples et d’une grande grâce, et puis elle relève les paupières et voici que rayonnent les yeux si beaux.

Elle chante des chansons d’Espagne ; les unes sont gaies, les autres funèbres ; et non seulement elle les chante, mais elle les mime, elle en vit l’épisode amoureux, malicieux, passionné, perfide ou funeste, avec une puissance d’évocation presque maléfique, à force d’être naturelle

O beauté des visages sur lesquels passe la vie changeante ! Raquel Meller possède une de ces physionomies si rares que modèlent et transfigurent toutes les émotions et tous les rythmes de l’âme ; et on sent qu’on peut aussi la contempler pourtant