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très gris, presque froid. De timides « Zito » poussés par des voix d’adolescents nous saluent au passage. Une neige odorante et légère de pétales de roses, de dahlias et de chrysanthèmes, tombe en papillonnant sur nos épaules. Qu’elle serait vivante et jolie, la Karyès de l’Athos, si le sourire d’Eve n’en était point absent !

Des sourires — de moines, cela s’entend ! — nous attendent proche la sainte église du Protatou et même nous barrent le chemin. C’est le conseil des Epistates, à longue barbe, bonnet voilé et collier bleu. Nous recevons ici l’hospitalité solennelle, qui ne va point sans une adresse pompeuse — en français — lue comme un psaume par l’higoumène du couvent de Dionysiou. Le vénérable Père, seul de tous ceux qui nous entourent, parle notre langue ; et l’on sent briller, dans ses yeux finauds de vieux renard ecclésiastique, quelque orgueil de ce privilège.

— Père, lui dis-je, vous plairait-il de me donner votre discours ?

Hésitation, petite grimace. Et l’excellent higoumène de me confier à l’oreille :

— C’est que mon texte comporte des ratures et je n’en ai pas pris copie !

L’église du Protatou est une des plus anciennes de l’Athos : c’est aussi l’une de celles qui, par le sombre de ses voûtes, ses senteurs de moisissure, de cire fuligineuse, le délabrement de son ornementation intérieure, rappellent le mieux les ténèbres poussiéreuses et froides des catacombes. Eglise sainte parmi les saintes cependant. Sur les piliers massifs, dans les arcatures des travées, des fresques, — malheureusement repeintes, — évoquent le souvenir du fameux décorateur byzantin Pansellinos ; et tout au fond, par derrière l’iconostase, dans une obscurité de tombeau, l’image très ancienne et miraculeuse de la Vierge à l’Enfant-Jésus attend qu’un rayon de funèbre lumière l’expose à la pieuse admiration des pèlerins. Il ne faut à la prière ardente et douloureuse qu’une pénombre. L’âme, pour contempler son Dieu, s’enveloppe de silence et d’un peu de nuit. À cette heure de midi, le Protatou résonne et tremble. Sous le grand lustre d’or aux miroitantes pierres, l’archimandrite se tient entouré de ses clercs. Ils sont là, rangés en arc, immobiles, les yeux perdus en une vision irréelle, telle une vivante iconostase respectée par les siècles. Tout l’Orient