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somptueux des Paléologues revit dans les lourdes dalmatiques largement brodées d’or ; dans les robes de moines, aux teintes vives, semées d’orfrois vieillis. En face de moi, un jeune diacre se tient dans une rigidité d’hypnose. Visage de vieil ivoire aux rudes saillies d’ascète, yeux très caves puissamment arqués de noir, au fond desquels rougeoie une pupille de braise, barbe en tresse encadrante, portant en soi une inexprimable noblesse et comme l’adorable folie de la croix, il me semble venu de la voluptueuse Byzance, effrénée et sordide, si riche de vocations cénobitiques. Durant tout l’office, aucun tressaillement ne fait vivre, ses traits ; il demeure lige dans son attitude de momie, cherchant à retrouver un songe interrompu par un sommeil de mille ans. Et je reste longtemps, par une sorte de fascination troublante, à contempler cette vivante incarnation de la mort. Debout, les bras aux accoudoirs de nos stalles, nous écoutons les psaumes hosanniques. Nul accompagnement. La grande berceuse : la voix sublime et suprême de l’âme, la divine prière de l’homme. La musique est bannie de l’Athos sous sa forme instrumentale. Aussi bien, quelle musique serait plus tristement plaintive, plus humiliée que les voix nasillardes des trois chantres du Protatou ? « Kyrie eleison » entonne la première, sourde, grave, comme lassée et mourante… c’est le chant de la résignation. « Kyrie eleison » répondent les autres. Et l’une d’elles, aigre, fausse, monte par degrés à l’aigu, glapit, déchire l’air, puis redescend en torrent l’octave sur une seule syllabe roulée indéfiniment… rie… rie… rie… rie…

C’est le cri de l’espérance inquiète, éperdue.

Et le chant continue, avec ses ondulations régulières, son chevrotement de vielle, son rythme monotone, pour la plus grande gloire de Dieu… et de l’archistratigos Franchet d’Esperey. Le nom, prononcé par l’officiant avec emphase, éclate comme un appel de fanfare au milieu du grec liturgique. Tout s’harmonise. Une clarté pareille à celle d’une lune voilée fuse des fenêtres hautes, une clarté dolente comme le chant des moines, triste comme la nef du Protatou… Et je songe à nos joyeuses églises de France, à la voix divine des orgues, aux autels resplendissants de lumière, aux crèches de Noël fleuries de roses, de violettes, de mimosas et de myrtes, auréolées de cierges aux flammes d’or. Un glorieux archistratigos n’échappe point au panégyrique. Ce que ce panégyrique fut, hélas J point