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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/344

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trois définitions, nous dirons que la bourgeoisie commence dès que l’homme, épargnant sur son salaire, devient propriétaire, et accède ainsi à un ordre nouveau d’idées, de besoins et de jouissances. Elle disparaît au moment où, cessant de travailler, il devient un parasitaire.

En somme, le bourgeois moderne se reconnaît : 1° à ce qu’il possède ; 2° à ce qu’il travaille ; 3° à ce qu’il économise ; 4° à ce qu’il pratique certaines habitudes et attitudes sociales. Un certain nombre de raffinements au moins extérieurs de culture, d’hydrothérapie, de costume et de logement, l’orthographe, le tub, le chapeau haut de forme, le jour de réception, l’emploi de domestiques, les vacances à la mer et à la montagne, le voyage en chemin de fer en première ou en deuxième classe, etc. : cet ensemble de signes, sans qu’ils fussent immuables, et pour futiles que puissent paraître quelques-uns, n’en déterminaient pas moins, avant la guerre, d’une manière assez expressive, les limites de la catégorie sociale que j’envisage.

Elle avait un passé glorieux. Historiquement issue du Tiers-Etat, c’est principalement elle qui, collaborant avec la royauté, avait formé la France. La Révolution de 1789 lui avait donné le pouvoir politique. Le XIXe siècle fut l’histoire de son enrichissement et de son accommodation à la démocratie. Si les revendications grandissantes du prolétariat tendaient depuis un demi-siècle à balancer son pouvoir, elle n’en continuait pas moins, au début du XXe, à fournir à la nation à peu près la totalité de ses élites.


Or, la grande guerre de 1914-1918 a été pour la bourgeoisie française la cause d’un terrible affaiblissement.

Affaiblissement en nombre d’abord. L’impudence du mensonge étant sans limites, il est couramment affirmé dans l’évangile communiste que la guerre fut déchaînée par la bourgeoisie capitaliste, et aussi que l’on ne vit jamais un de ses fils dans les tranchées. Hélas ! quand on regarde les chiffres, il faut constater que de toutes les classes de la nation, y compris les paysans, c’est la bourgeoisie qui a été la plus cruellement meurtrie. C’est dans ses rangs que se sont recrutés la quasi totalité de nos officiers. Or, parmi eux, le nombre des tués atteignit 18,5 pour 100 de l’effectif. Celui des hommes fut seulement