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Rome, — ce qui devait être et ne prouverait rien, — mais les provinciaux. N’est-ce pas un poète gaulois du Ve siècle, Rutilius Namatianus qui a écrit :

Fecisti patriam diversis gentibus unam,
Profuit invitis te dominante capi.

« O Rome, tu as donné une patrie unique à des nations très différentes ; c’est un bonheur pour elles d’avoir, malgré leur résistance, subi ta domination ? »

Il n’est pas douteux que c’était là l’avis de tous les sujets de l’Empire ; leurs maîtres leur apportaient, sans violenter leurs croyances ni leurs usages, une existence assurée du lendemain.

Notre éducation classique, toute nourrie du culte des lettres grecques et romaines, nous incline naturellement à accepter ce jugement presque sans discussion ; on le retrouvera formulé dans les ouvrages modernes les plus réputés.

Depuis quelque temps, cependant, les esprits sont un peu revenus de cette admiration sans réserve ; nous ne sommes plus à l’époque des héros de Corneille ou des orateurs de la Révolution ; derrière la grandeur apparente et théâtrale de l’édifice, nous osons en chercher et en voir les défauts. Dès lors, on a été amené à se demander si, à tout prendre, les bienfaits de l’assimilation romaine n’ont pas été, eux aussi, plus apparents que réels. Le dernier historien de la Gaule, M. Jullian, n’hésite pas à considérer le succès de César comme fâcheux pour notre pays ; il se figure « qu’à s’instruire plus lentement et sans le devoir d’obéir, la Gaule aurait retenu davantage de ses facultés propres ; l’esprit classique n’aurait pas travesti les gloires et les coutumes indigènes sous les lignes uniformes de ses types consacrés ; une plus large part eût été faite aux éclatants souvenirs de la Gaule et à ses qualités présentes, à toute sa vie personnelle, si pleine d’élan, de curiosité et d’aventures ; elle fût entrée dans la discipline morale des Méditerranéens, en gardant sa marque nationale, comme Rome et l’Etrurie l’avaient fait l’une et l’autre. »

Il est bien difficile de se prononcer sur de telles affirmations ; nul ne peut dire sérieusement ce qui serait arrivé si les choses n’avaient point été ce qu’elles furent. Ce sont là rêves généreux et regrets de cœurs patriotes. La sagesse veut que nous nous bornions à constater les faits. Il ne s’agit pas de