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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/581

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sera française, réalisée par un Français. Soyons, sans scrupule, tout ce que notre esprit et notre talent nous permettent d’être : nous serons toujours de notre sang. Si nous apercevons chez des étrangers, en dehors du monde latin, chez les Allemands ou les nègres, des sources de vérité ou de beauté, détournons-les à notre usage. Nous ne gâterons pas en nous l’hérédité française : nous n’assimilerons que ce qui est assimilable; le reste s’écaillera vite et tombera.

La tradition n’est pas un canon à observer; elle n’est pas fixe : elle sera fixe le jour ou la civilisation française sera une chose du passé, une chose morte. Alors on pourra dresser l’inventaire de ce qu’elle contient, marquer ce qu’elle exclut, et en chercher les raisons.

Mais aussi longtemps que l’esprit français sera une force vivante, la tradition ira de génération en génération s’élargissant, se compliquant, absorbant des éléments nouveaux, déconcertants parfois pour les dévots des orthodoxies périmées, sans que jamais on puisse dire une fois aux jeunes : «C’est tout. La tradition française est faite, vous n’y ajouterez plus rien; » ni objecter à un novateur, avant que sa nouveauté ait subi l’épreuve du temps : « Ceci n’est pas français; ceci ne sera jamais français. »

Nous qui sommes le public, nous ne savons jamais si un penseur ou un artiste n’arrivera pas à créer une variété nouvelle de pensée ou de beauté française. Nous avons le droit de déclarer que nous n’aimons pas la fleur nouvelle qu’on nous présente, sa couleur ou son parfum qui nous étonnent; nous pouvons nous apercevoir qu’il n’a pas encore poussé de fleur pareille dans le jardin de la France. Il serait hasardeux d’ajouter que cette fleur ne s’acclimatera jamais dans notre sol et sous notre climat; nous pourrions recevoir de l’expérience le démenti qu’ont reçu les Baour-Lormian et les Viennet quand, au nom de la tradition française, ils niaient cette chose inouïe qu’était le romantisme.

La puissance d’assimilation d’une nation, et particulièrement de notre nation, est incroyable. Du latin et de la latinité, mêlés de celtisme et de germanisme, nous avons fait une première fois le clair filet de langue et d’esprit de notre moyen âge. Après quelques siècles, d’un retour à la latinité et de la découverte de la Grèce et de l’Italie, nous avons fait notre