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Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 6.djvu/920

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ils ont agi au jour prédit de la Nativité. Les premiers ils ont adoré l’Enfant. Ils lui ont apporté les fleurs de leurs cimes avant même qu’il eût souri, les fruits de leurs champs sans qu’un signe étoile les appelât. Ils lui ont prêté l’étable qui l’abrite, la paille qui le couche, l’âne et le bœuf qui le réchauffent. Ils l’ont gardé avec leurs chiens, et réjoui de leurs pipeaux. Ils l’ont enveloppé de sollicitude, de tendresse, d’adoration, ils l’ont pris presque dans leurs bras, comme un de ces agneaux qui naissent sur le chaume, et qu’ils emportent contre leur sein, suivis pas à pas de la mère inquiète... C’est pourquoi Nadaou les ravit. Ils sentent obscurément aussi :

Qu’une immense espérance a traversé les cieux,

avec la pitié, la charité, la fraternité, filles de ce berceau rustique.

Aussi comme ils chantent à Nadaou chez nous! De vieux airs patois, venus des bergeries du temps jadis, quand on filait la laine des habits, et qu’en gardant les ouailles ou tournant le rouet, les anciens et les anciennes les composaient au bruit de la pédale ou du vent. Ils sont naïfs et savoureux, rieurs et frondeurs, d’aucuns las, résignés, traversés de traits pathétiques, et tous familiers avec la Divinité, comme pleins de soucis du sol. On y rencontre des dialogues entre les anges et les pasteurs, où, par un respect hérité, l’auteur fait parler l’être ailé en français, l’homme en patois. Voici ce qu’ils se disent :

L’ANGE

Un Dieu vous appelle, — levez-vous, pasteurs, — Courez avec zèle, — vers votre Sauveur. — Le Dieu du tonnerre — promet désormais — la fin de la guerre, — la paix pour jamais.

LE BERGER

Déchem droumi, — n’ém bengés pas troubla la cerbelle; — déchem droumi. — Tire én daban, seg toun cami, — n’ey pas bésoin dé sentinelle, — ni ney qué ha de ta noubelle : — déchem droumi !

(Laisse-moi dormir, — ne viens pas me troubler la cervelle, — laisse-moi dormir. — Va-t’en plus loin, suis ton chemin. — Je n’ai pas besoin de sentinelle, — ni n’ai que faire de la nouvelle, — laisse-moi dormir!)