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le pouvoir énorme que représente la coalition de pareilles influences dans un État autocratique et centralisé comme la Russie.

Pour contrebalancer l’action néfaste de cette cabale, je ne vois auprès des souverains qu’une personne, le chef de la Chancellerie militaire de Sa Majesté, le prince Wladimir Orlow, fils de l’ancien ambassadeur à Paris. De jugement droit, de cœur fier, dévoué de toute son âme à l’Empereur, il s’est, depuis le premier jour, déclaré contre Raspoutine et il ne se lasse pas de le combattre, ce qui lui vaut naturellement l’hostilité de l’Impératrice et de Mme Wyroubow.


Mardi, 22 septembre.

Je reçois, ce matin, la visite d’un Français, Robert Gauthiot, professeur à l’École des Hautes-Études de Paris, qui arrive directement du Pamir, où il accomplissait une mission d’ethnologie et de linguistique.

Dans la seconde semaine d’août, il explorait, aux environs de Chorog, une vallée située à 4 000 mètres d’altitude, sur les pentes de l’Hindou-Kouch ; il s’était avancé à douze jours de marche au-delà de l’extrême avant-poste russe qui surveille la frontière du Ferghana, l’ancienne Sogdiane. Le 16 août, un indigène qui était allé lui chercher quelques provisions à cet avant-poste, lui annonce que l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie et à la France. Il part instantanément. D’une traite, par Marghelan, Samarkand, Tiflis, Moscou, il arrive à Petrograd.

Je lui raconte l’extraordinaire suite des événements accumulés depuis deux mois. Il me déclare son ardente impatience de rentrer en France et de rejoindre son régiment territorial. Puis nous sondons l’avenir ; nous supputons le colossal effort qu’il faudra s’imposer pour détruire la puissance allemande, etc. Ses appréciations m’intéressent d’autant plus qu’il a fait de multiples et longs séjours en Allemagne ; il me dit notamment :

— J’ai beaucoup fréquenté les socialistes allemands ; je connais bien leurs doctrines et mieux encore leur esprit. Soyez sûr, Monsieur l’Ambassadeur, qu’ils coopéreront de toutes leurs forces à l’œuvre de la guerre et qu’ils se battront, comme les plus têtus des junkers, avec la dernière énergie… D’ailleurs, je suis