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sous les triples serrures des armoires de chêne. Pourtant ils étaient là : depuis le temps de Louis XIV, les maroquins du Levant les protégeaient somptueusement ; de rares visiteurs officiels étaient seuls admis à parcourir ces salles immenses, à caresser des yeux ces alignements muets. Il fallut une sorte de révolution intérieure pour qu’une mine si précieuse s’ouvrît et que la France connût enfin sa propre richesse. Les archives des Affaires étrangères furent inventoriées, classées, cataloguées, estampillées selon les méthodes de l’École des Chartes. Je n’apprends rien aux lecteurs de la Revue en leur rappelant que des travaux d’une valeur historique sans prix ont été mis au jour à la suite de ces libérales initiatives : je citerai deux noms seulement, ceux d’Albert Sorel et de Vandal. L’histoire des époques auxquelles ils se sont consacrés s’est renouvelée du fait des procédés de la bibliographie nouvelle. Par eux et par leurs émules, la France commence à connaître les lois de sa politique extérieure que la prétentieuse indolence des âges antérieurs lui avait obstinément cachées.

Cet exemple, appliquez-le à toutes les parties de l’histoire du pays. Aux archives nationales dormaient inexplorés ou mal connus les diplômes de nos rois, les dossiers des Parlements, les délibérations des Conseils, les actes publics et privés depuis les siècles les plus reculés jusqu’à nos jours : là reposait et repose encore le détail exact et passionnant de la vie publique et de la vie privée de nos pères ; là on trouve tout ce que l’on peut espérer d’apprendre sur la propriété, les salaires, les transactions économiques, les relations des familles, des communes, des provinces, des États qui ont peu à peu, en s’agglomérant, formé le pays. Tous nos ancêtres sont là, — tous. Cet ossuaire, enseveli, mais vivant, c’est la France. Par les archives on sait ou l’on saura où habitaient Villon et Molière, quelle fut la vie particulière de Montaigne et de Jean-Jacques, où s’est caché le « philosophe inconnu, » si Louis XVII a disparu du Temple, où est née et où est morte Manon Lescaut, comment a disparu du nombre des humains « le masque de Fer. » Les archives racontent tout cela et mille autres secrets encore ; mais c’est le travail de termite de nos bons archivistes paléographes qui nous a mis à même de les explorer.

De même pour les départements et les anciennes provinces, pour la marine, les colonies, la guerre, pour tous les domaines où