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aucun principe d’autorité solide et sûr pour soutenir l’ordre social : ni l’ancien principe gréco-latin, le principe aristocratique et républicain, consacré par le polythéisme, qui était tombé ; ni le nouveau principe asiatique et monarchique, qui n’arrivait pas à mettre des racines solide. Les luttes théologiques de cette époque ne sont qu’un effort titanique pour constituer une discipline intellectuelle de fer, une doctrine de la vie, indiscutée et indiscutable, résistant à tous les assauts des intérêts et des passions, dans un moment où l’autorité politique chancelait, l’autorité religieuse était encore partagée et faible, et toutes les traditions avaient été bouleversées par les révolutions, par les guerres, par les mélanges des classes et des populations, par les infiltrations des barbares. Si tout était instable dans le monde, les lois, les traditions, les forces de l’Etat, les fortunes et les intérêts des hommes et des familles, que la pensée humaine fût au moins ferme et stable, dans la doctrine que Dieu avait révélée aux hommes au moyen du Messie et des Apôtres, et transmise en une édition authentique in æternum dans les livres saints ! Telle est la pensée profonde que l’on trouve au fond de ces luttes théologiques terribles et obscures. Beaucoup, sinon toutes les grandes luttes de l’orthodoxie contre l’hérésie, s’expliquent et se comprennent, quand on se rend compte que derrière les questions théologiques en apparence subtiles et théoriques se cachait la question, bien autrement grave, de l’unité et de la stabilité des doctrines fondamentales du Christianisme ; et que cette unité et cette stabilité était la dernière base de l’ordre, dans ce monde qui se décomposait pour ne pas avoir trouvé un principe d’autorité solide et sûr. L’arianisme est un cas particulièrement clair et instructif de cette vérité. En séparant le Christ de Dieu comme une de ses émanations et extériorisations, l’arianisme admettait implicitement qu’à celle du Christ pourraient succéder d’autres émanations et extériorisations. Comme Dieu avait tiré volontairement du néant et adopté le Christ, il pourrait tirer volontairement du néant et adopter d’autres rédempteurs. Le livre de la révélation n’était donc pas fermé ; il pouvait continuer en des volumes nouveaux ; d’autres Messies pourraient apparaître encore et la doctrine du Christianisme se changer en un devenir continuel, tel que le conçoivent certaines sectes du protestantisme le plus radical, dont Arius fut vraiment un précurseur. Mais ce devenir